La cupidité, l’avidité ont toujours existé. Aujourd’hui, on appelle ça capitalisme. C’est le nom savant actuel, le nom moderne pour désigner quelque chose d’ancien. Certes, le capitalisme, dans tout ce qu’il a de technique, n’existait évidemment pas avant que l’on invente ces techniques financières qui font du capitalisme ce qu’il est aujourd’hui, mais ce qu’il y a derrière le capitalisme, lui, a en revanche toujours existé. Ce qui motive les adeptes du capitalisme, c’est ce qui a toujours motivé les hommes qui de tous temps ont voulu plus que les autres, qui convoitaient le gâteau entier, quitte à ne rien laisser aux autres ou presque. Chez les animaux aussi, on trouve des individus qui s’approprient un territoire dont ils revendiquent toutes les ressources et chassent tous ceux qui pourraient venir leur en prendre ne serait-ce qu’un petit bout. Je crois que ce phénomène est inscrit très profondément dans notre cerveau. Je crois bien qu’il est apparu avec la compétition ou peut-être même qu’il se confond avec elle. On pense que c’est typiquement humain, alors qu’en fait il n’y a rien de plus bestial. Nous sommes entrés en société en sortant de l’état de nature, paraît-il, mais en réalité nous y sommes entrés en conservant nos instincts les plus primaires, et donc nous y sommes entrés en y introduisant cet état de nature qui était le nôtre avant notre entrée en société. Nous avons finalement juste remplacé les arbres par des immeubles en béton, mais pour le reste c’est un peu la même chose, en plus complexe.
Jason n’avait pas besoin de conquérir la toison d’or, il avait déjà tout l’or qu’il voulait, et pourtant, milliardaire, il s’était malgré tout attaché les services des meilleurs spécialistes du monde capables de lui en procurer encore plus. Il n’était jamais satisfait. Il en voulait toujours plus. On avait beau lui expliquer que les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel, il voulait tout. Des gens qui veulent tout, qui croient que c’est possible de tout avoir ou qu’on a peut-être encouragé, sans doute collectivement, à croire que c’était possible, il y en a plein, surtout les jeunes. En vieillissant, on apprend généralement petit à petit que ce n’est qu’une illusion, sauf que les jeunes, qui ont l’énergie de leur jeunesse mais pas la sagesse des plus anciens, se laissent souvent prendre à ce piège dont ils auront bien du mal à se sortir par la suite.
Ymédée convoitait, elle, une autre richesse encore plus précieuse que l’argent : le temps ! Le temps que durerait sa vie, elle voulait pouvoir remplir cette période au maximum, et si possible même plus que le maximum, de toutes les choses dont elle avait toujours eu envie : elle voulait l’indépendance tout en se mariant, elle voulait des enfants mais avoir du temps pour se cultiver et se divertir, elle voulait travailler, créer au besoin son entreprise, mais pouvoir prendre de longues vacances, voir ses enfants grandir, elle voulait bien sûr une maison, une famille, si possible une résidence secondaire, une belle voiture et même plusieurs, travailler d’arrache-pied, avoir une vie de famille épanouie, un mari aimant qui la soutiendrait, elle voulait tout et bien plus encore. Personne ne lui avait jamais dit qu’on ne pouvait pas tout avoir, qu’il fallait faire des choix, et toute façon, je suis persuadé que si on le lui avait dit, elle ne l’aurait pas entendu. Elle préférait croire aux mirages colportés par la télé, les publicités, les magazines, le cinéma, et d'une manière générale par tout ce qui pouvait lui laisser à penser qu’on pouvait tout avoir. C’était tellement plus excitant que de devoir choisir. Cette simple perspective d’ailleurs la déprimait au plus au point. Non, elle voulait tout et aurait tout, un point c’est tout.
Elle rencontra Jason au cours d’une soirée à laquelle elle avait réussi à se faire inviter par maints stratagèmes. Elle plut immédiatement à Jason qui ne mit pas longtemps à la demander en mariage. Un de ses rêves venait de se réaliser qui allait pouvoir emboîter le pas à tous les autres, la fortune de son époux l'y aidant. En effet, il l’aida à créer financièrement son entreprise qui eut rapidement un beau succès, ce qui la rendait très fière. Tous ses désirs semblaient se concrétiser, car dans le même temps naquit le fils qu’espérait tant Jason, qui, depuis déjà trop longtemps, était en attente d’un héritier et digne successeur de ses affaires. Tout allait pour le mieux aussi bien pour Ymédée, que la vie avait l’air de gâter au-delà de ses espérances, que pour Jason qui donnait l’impression d’avoir récupéré l’énergie de ses débuts, un peu comme une seconde jeunesse qui se manifestait, à la manière d'un renouveau ou d'une renaissance, par une réussite arrogante dans ses affaires pourtant déjà bien florissantes. Sa fortune avait fait un bond en avant, ce qui était de nature à ravir autant Jason que son épouse dont l’entreprise marchait également à merveille. C’est alors que le cœur de Jason chavira pour une avocate d’affaires qui avait rejoint le cabinet qui s’occupait de la gestion de ses biens. Ymédée le vécut comme une véritable trahison. Elle décida alors, puisqu'elle avait manifestement perdu son temps avec Jason sur lequel elle avait tout investi, de bien le lui faire payer ! Le divorce se fit dans la douleur. Elle obtint la garde de son fils dont Jason comptait pourtant faire non seulement l'héritier bien évidemment de sa fortune, mais aussi de ses affaires en le formant à sa main. Elle obtint aussi une partie non négligeable de la fortune que Jason avait accumulé au cours de leur mariage. Le temps qu’elle avait perdu avec son époux, elle comptait bien le récupérer en argent, car pensait-elle, si le temps c’est de l’argent, alors il lui en fallait beaucoup pour réparer cette perte inestimable. De son côté Jason ne resta pas les bras croisés et lui fit payer son attitude vindicative en faisant en sorte, comme actionnaire principal de l’entreprise de son ex-épouse, que celle-ci en perde la direction.
Et c’est ainsi que de fil en aiguille, leur divorce sembla donner finalement non sans une certaine ironie l’impression de célébrer très paradoxalement comme une sorte de mariage ... celui de la cupidité et de la stupidité.
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