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I.T.T. (Intention Très Trouble)

Alain G

Dernière mise à jour : 9 mai 2021

Après m’être fait agressé (ce que je raconte dans le texte intitulé « Police de classe »), j’ai passé ma nuit aux urgences à attendre qu’on veuille bien me recoudre la plaie que j’avais à la tempe gauche, ce qui arrivera finalement au petit matin.

Moi je croyais qu’aux urgences, où les pompiers m’avaient conduit, on traitait d’abord les cas urgents avant de s’occuper ensuite des cas qui l’étaient moins. Et une plaie ouverte, qui nécessita finalement cinq points de suture, me semblait être effectivement une urgence plus urgente qu’un pied foulé par exemple, comme c’était le cas d’un jeune ado qui après avoir été examiné par le médecin (ou plutôt à mon avis jeune interne) gambadait presque comme un lapin.

En fait, j’ai eu l’impression de me retrouver dans un cabinet en ville, mais ouvert la nuit, où les gens passaient en fonction de leur ordre d’arrivée. Ce n’est pas vraiment comme ça que je me représentais les urgences, car sans vouloir exagérer, il me semblait (peut-être à tort) que certains cas relevaient franchement plutôt de la médecine de ville que des urgences. Bon c’est vrai, je me suis mis à la place du jeune médecin qui devait être sûrement là aussi pour se faire la main avant d’aller plus tard exercer ailleurs, et en effet à sa place moi aussi je n’aurais pas aimé avoir à faire la police entre ce qui relevait effectivement des urgences et ce qui n’en relevait pas, mais à l’inverse, lui, ne s’est pas vraiment mis à ma place et m’a bel et bien laissé attendre jusqu’à l’aube avant de bien vouloir s’occuper de moi. Ça se serait quand même passé autrement si seuls ceux dont le cas est validé par exemple par les services de secours (pompiers, SAMU) pouvaient être admis aux urgences. Car même si je dois reconnaître que finalement il m’a bien recousu, arrivé le dernier, eh bien je suis tout simplement passé le dernier ! Et je ne crois pas que c’était normal, mais ça, ce n’était que le début.

Je dois préciser tout de même qu’après m’avoir examiné, il s’est néanmoins excusé, car il s’en serait en effet fallu de peu que je dépasse le délai requis pour pouvoir être recousu à temps, délai qui me semble être, si je me souviens bien, d’environ six heures après que la blessure ait été causée.


Une fois recousu, avant de pouvoir partir au commissariat remettre le rapport que le médecin était en train de rédiger, j’ai attendu qu’il finisse de le taper sans qu’après je puisse lire ce qu’il avait bien pu écrire, car évidemment je n’avais pas mes lunettes, et pour cause comment aurais-je pu les mettre avec la plaie, bien que recousue, que j’avais à la tempe.

Je n’ai donc pas pu voir qu’il ne m’avait pas prescrit de jours d’ITT, ce qu’arrivé au commissariat on m’a tout de suite signalé.

J’ai donc demandé à ma sœur qui me conduisait de retourner à l’hôpital pour que je puisse essayer de retrouver la trace de l’auteur du rapport, mais, comme les couloirs des hôpitaux ressemblent souvent à un labyrinthe, qu’en outre je ne dois pas avoir un sens de l’orientation très développé, et qu’en plus je commençais à fatiguer, je n’ai pas retrouvé le chemin qui m’aurait mené jusqu’à lui. J’ai donc demandé au premier employé de l’hôpital que j’ai pu rencontrer, en l’occurrence une femme, de bien vouloir m’indiquer la bonne direction. Elle a dû sans doute me demander pour quelle raison je lui demandais ça, car après lui avoir expliqué mon cas, elle m’a répondu qu’à l’hôpital on ne donnait pas d’ITT.

Etonné, je n’ai pas insisté et suis parti, avec ma sœur au volant, voir mon médecin traitant bien que celle-ci ne donne ses consultations habituellement que sur rendez-vous.

Une fois dans son cabinet, irritée qu’aux urgences on ne m’ait pas prescrit d’ITT et que par ailleurs je vienne sans rendez-vous (j’aurais sans doute dû demander à mes agresseurs de bien vouloir attendre que je prenne d’abord rendez-vous avant de pouvoir m’agresser), elle a finalement daigné m’accorder cinq jours d’ITT, en me disant qu’elle ne pouvait pas plus, et je n’ai toujours pas compris pourquoi elle ne pouvait pas plus, ce que je n’ai évidemment plus l’intention de lui demander à présent.

Pourquoi certains médecins (et visiblement je n’ai pas eu de chance) sont manifestement réticents à prescrire des jours d’ITT quand d’autres sont beaucoup plus généreux, je ne le saurais probablement jamais. Peut-être sont-ils contrôlés par je ne sais qui ou je ne sais quoi, ou alors est-ce un risque qu’ils n’aiment pas prendre eu égard à un éventuel impact sur leurs cotisations d’assurance … mystère ! Une sorte de loterie somme toute.

Toujours est-il que, bien qu’ayant fait des études de droit (mais à ma décharge, même si nul n’est jamais censé ignorer la loi, mes cours de droit pénal remontaient tout de même à il y a vraiment très longtemps), je ne savais pas à l’époque que pour le procureur en dessous de huit jours d’ITT une agression n’était pas automatiquement qualifiée de délit, mais que les faits pouvaient, comme il semblerait que ce soit possible, être rétrogradés en simple contravention.

Sauf que si moi je ne le savais pas, mon médecin, elle en principe, ne pouvait pas l’ignorer sans admettre du même coup qu’elle ne connaît pas les conséquences de ce qu’elle peut être amenée à prescrire dans le cadre de son activité, ce qui me semblerait être carrément une faute.

En gros, elle devait savoir qu’avec cinq jours d’ITT, elle me renvoyait très probablement devant le tribunal de police plutôt que devant le tribunal correctionnel au minimum. Et là je suis vraiment tombé de très haut.

Et depuis, plus de trois ans après les faits, j’attends encore que le procureur veuille bien m’informer des suites qu’il compte donner à cette affaire, et qui commencent très sérieusement à sentir le classement sans suite, ce qui bien sûr serait un véritable scandale, mais je n’en suis plus à ça près maintenant.

Essayez d’imaginer tout de même si vous le pouvez mon état d’esprit quand après m’être fait agressé chez moi et avoir réellement cru vivre mes derniers instants, j’ai eu l’impression que tous les intervenants qui se sont succédés ensuite avaient l’air de s’en foutre royalement : le médecin des urgences qui oublie de me prescrire des jours d’ITT, mon médecin traitant qui estime que ça ne vaut guère plus que cinq jours et me reproche en outre de venir sans rendez-vous, la police pour laquelle ce ne serait que des enfantillages, et sans compter le procureur qui envisage probablement un classement sans suite, du moins si comme je le ressens de plus en plus fortement, c’est bien ce qui se prépare.

Moi je pensais que le nombre de jours d’ITT, que le médecin prescrivait ou pas, n’était non pas qu’un détail, mais rien de plus qu’un élément du dossier, même s’il n’est pas négligeable. Je ne savais que c’était en fait une, si ce n’est même la pièce essentielle du dossier. Je croyais que par exemple si j’avais été victime d’une tentative de meurtre qui avait échouée et qui n’aurait donc donné lieu en principe à aucun jour d’ITT, l’auteur n’en aurait pas été moins poursuivi et condamné pour autant. J’ignorais, comme ça me semble hélas de plus en plus évident aujourd’hui, que les jours d’ITT sont en fait un moyen que le procureur peut utiliser, avec la complicité de la médecine, pour le cas échéant requalifier un délit en contravention, ou peut-être même qui sait un crime en délit, sous éventuellement le prétexte fallacieux que les tribunaux sont débordés.

Mais quelle honte, si c’est vrai !

Conclusion : ITT, peut-on encore dire aujourd’hui quelle était l’intention initiale se trouvant derrière cette invention devenue apparemment de fait instrument au service des autorités judiciaires qui l’utilisent peut-être comme moyen de régulation du taux de criminalité ou de délinquance ? En effet, peut-être quand il y a trop de délits dans un secteur donné, a-t-on le réflexe de transformer par ce biais certains délits en contraventions, alors qu’on aurait au contraire tendance à requalifier les contraventions en délits lorsqu’il n’y en a pas assez.

La disparité qui existe dans le traitement de faits similaires en fonction du nombre de jours d’ITT attribué était-elle voulue dès l’origine ou n’est-elle qu’un dévoiement ?

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