Justine et Charlotte étaient en terminale. Elles se connaissaient depuis le collège et s’entendaient à merveille. Elles avaient les mêmes idées sur pratiquement tout, sauf sur un point qui les conduisait à des discussions à n’en plus finir : Justine était très remontée contre le père qu’elle n’a pas eu, tandis que Charlotte adorait le sien.
-Justine : Je sais que tu aimes beaucoup ton père mais admets que c’est une exception. La plupart des pères ne sont pas comme lui.
-Charlotte : Je ne sais pas comment sont les pères des autres. Je sais juste comment est le mien.
-Justine : La plupart sont autoritaires, veulent être les chefs. Ton père, à ce que je sais sur lui, n’est pas comme ça. Il fait le ménage, la cuisine, s’est occupé de toi quand tu étais enfant aussi bien que l’aurait fait une mère. Bref, c’est un père modèle comme n’en ont pas la majorité des enfants.
-Charlotte : Il arrive aussi à mon père d’être autoritaire, mais ça arrive aussi à ma mère et puis en général c’est souvent justifié, même si sur le coup je ne le prends pas toujours bien.
-Justine : Ma mère aussi peut être autoritaire, mais ce n’est pas pareil qu’un père.
-Charlotte : Qu’est-ce que tu en sais. Il y a des mères qui peuvent être plus dures que certains pères.
-Justine : Ça peut arriver, mais ce n’est pas la règle générale si j’en crois ce que je vois autour de moi. La plupart des élèves du lycée craignent davantage leur père que leur mère, ce n’est pas pour rien.
-Charlotte : Peut-être, mais ce n’est pas mon cas. Mes parents ont privilégié la responsabilisation de l’enfant que j’étais plutôt que d’utiliser le ressort de la peur pour m’éduquer et j’en suis heureuse.
-Justine : Tu as des parents modernes et j’en suis contente pour toi. Ma mère est pareille, mais chez une mère c’est quelque chose de plus naturelle que chez un père, je trouve.
-Charlotte : Je ne sais pas ce qu’il en est en général, je sais juste que chez mon père c’est aussi naturel que ça peut l’être chez ma mère, et je trouve ça bien.
-Justine : C’est bien ce que je dis, ton père est un exemple, mais c’est une exception.
-Charlotte : Je sais que j’ai beaucoup de chance de l’avoir comme père, mais je ne suis pas sûre qu’il soit le seul à être comme ça.
-Justine : Le seul, sûrement pas, mais ce n’est pas la règle générale. C’est pour ça que je dis qu’un père ça ne sert à rien en général si ce n'est peut-être d’exemple.
-Charlotte : Même s’il ne servait que d’exemple, ça ne serait pas rien.
-Justine : Sauf que la plupart du temps, ce sont des contre-exemples, des exemples à ne surtout pas suivre.
-Charlotte : Il y a des mères qui ne sont pas exemplaires non plus, ça existe aussi.
-Justine : C’est plutôt rare, alors que chez les hommes c’est plus courant.
-Charlotte : Il y a des pères qui élèvent seuls leurs enfants et qui se débrouillent très bien.
-Justine : C’est parce que dans leur cas, ils font à la fois le père et la mère.
-Charlotte : Tu as une vision trop tranchée de ce que doit être un père et une mère.
-Justine : Ce n’est pas moi qui ais une vision tranchée de ce que doit être un père et une mère, mais la société elle-même par l’image qu’elle renvoie de ce qu’ils doivent être.
-Charlotte : Les rôles ont évolué. De plus en plus d’hommes s’occupent des tâches ménagères.
-Justine : Ce n’est pas ce que disent les statistiques et puis ce n’est pas ce qui est ancré dans l’inconscient collectif.
-Charlotte : Et qu’est-ce qui est ancré dans l’inconscient collectif ?
-Justine : Le contraire justement. Dans l’inconscient collectif, le père doit être viril, autoritaire. C’est Dieu le père qui laisse son fils mourir sur la croix ou Abraham qui accepte de sacrifier son fils au nom de Dieu … aucune mère digne de ce nom n’aurait accepté de faire une chose pareille. Il n'y a d'ailleurs guère que Dieu le père pour demander ça, Dieu la mère si elle existait n'aurait jamais pu demander quelque chose de ce genre.
-Charlotte : Tu as peut-être raison, mais je ne crois pas que mon père aurait accepté de faire ça même si Dieu en personne le lui avait demandé.
-Justine : Peut-être parce qu’il est plus proche d’une mère que d’un père.
-Charlotte : À t’écouter je crois qu’il faudrait peut-être en finir avec la notion de père et de mère et s’arrêter à celle de parent. Il ne devrait plus y avoir de mère ou de père mais seulement des parents de sexe masculin ou de sexe féminin. Il y aurait les bons parents et les mauvais parents quels que soient leur sexe, et puis c'est tout.
-Justine : Tu as peut-être raison, mais on est loin d’en être là. Les notions de père et de mère ont encore de beaux jours devant elles.
-Charlotte : Le mode de vie moderne obligera sans doute la plupart des hommes qui veulent être père à s’occuper de leurs enfants comme le ferait une mère.
-Justine : Espérons-le, mais ce n’est pas mon avis ... et puis au fond si tu as raison, ça voudrait dire que les pères, au-delà de leurs attributs physiques typiquement masculins qui, eux, ne changeraient pas, deviendraient en somme des mères comme les autres, ou des secondes mères si tu veux, pas vrai ? Là en effet, ça m'irait bien, dit-elle en souriant.
-Charlotte : Qui vivra verra ! Mais je crois néanmoins qu'un père, peut-être justement à cause de ses attributs physiques typiquement masculins, qui lui permettent de faire avec son ou ses enfants ce que la mère aurait plus de mal à effectuer en raison de ses attributs physiques féminins, ce n'est pas exactement la même chose qu'une mère, et que cela le restera même si les choses évoluent. En tout cas, c'est mon avis. Voilà !
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