La fille au crâne rasé

A la gare, j’attendais mon train quand passa devant moi une jeune fille, ou peut-être une jeune femme, à vrai dire je ne saurais être catégorique, disons une fille entre vingt et trente ans à vue de nez, qui outre la particularité d’être vraiment belle avait aussi la singularité d’avoir le crâne rasé. Et je pense que c’était une coiffure volontaire, et non pas une coiffure subie comme peut par exemple avoir à la supporter une femme placée sous chimiothérapie, car on voyait bien que le crâne était rasé et non pas chauve, et en plus ses sourcils étaient toujours présents, sans compter, il me semble, que les femmes qui perdent leurs cheveux suite un cancer portent généralement une perruque pour se déplacer à l’extérieur, ce qui n’était manifestement pas son cas.

Sur le quai, je n’étais visiblement pas le seul à être impressionné. Beaucoup la regardaient le plus souvent plutôt sous le charme, même si quelques uns aussi ricanaient doucement, car pour eux franchement une fille sans cheveux, allô quoi ! Et il est exact que traditionnellement la chevelure est pour les femmes un symbole de féminité. En effet, personnellement je suis persuadé que si d’aventure vous aviez l’opportunité de raser les cheveux de la plupart des femmes, la majorité d’entre elles ressembleraient alors un peu moins à des femmes et un peu plus à des hommes. Mais comme j’ai pu le constater en voyant passer devant moi cette inconnue au crâne rasé, ce n’est pas le cas de toutes les femmes. Il y en a visiblement qui même sans cheveux conservent toute leur féminité, voire peut-être même la subliment encore davantage. C’est apparemment un mystère, et que je n’ai toujours pas résolu, mais je n’apprendrai rien à personne après tout qu’il y a des femmes (mais aussi pourquoi pas des hommes) à qui les cheveux courts (voire même rasés) vont mieux que les cheveux longs, sauf que pour le savoir évidemment, à part peut-être si vous utilisez un logiciel de simulation comme il en existe aujourd’hui, mais qui de toute façon ne vous renseignera jamais sur la forme véritable de votre crâne dans l’hypothèse où vous iriez jusqu’à vous raser les cheveux entièrement comme ma belle inconnue, la seule façon de procéder consiste toujours et encore au bout du compte à sacrifier sa chevelure, en ayant de préférence toujours à l’esprit qu’il est hélas impossible de revenir en arrière une fois la chose faite, même s’il y a bien sûr toujours la possibilité de mettre une perruque après si jamais le résultat ne correspondait pas à vos attentes.

En tout cas, l’inconnue de la gare, elle, avait un crâne parfait et de très fins traits. Elle était superbe. Elle ressemblait un peu à ces mannequins qu’on peut voir derrière les vitrines de certains magasins de vêtements quand les vendeuses ou les vendeurs ont oublié de leur mettre un postiche sur la tête. Et avec le recul, je me dis que si je l’avais croisé avec ses cheveux, je l’aurais sûrement trouvé jolie, mais à coup sûr je ne l’aurais pas remarqué comme c’est arrivé le jour où elle a eu la bonne idée de passer devant moi ainsi coiffée.

Si j’avais été plus jeune peut-être l’aurais-je même complimenté, bien que je ne sois pourtant pas du tout dragueur, à propos de sa coiffure, mais j’avais hélas entre deux à trois fois son âge, sans omettre qu’elle aurait également très bien pu être lesbienne, car il paraît que pour certaines d’entre elles, cette façon de se coiffer est aussi une manière d’afficher aux yeux de tous l’homosexualité dont elles se réclament.

Mais somme toute, quand j’y repense, ma fascination (relative tout de même) vient sans doute de ce qu’en sortant ainsi coiffée, elle avait un léger côté subversif, mais rien de bien méchant, qui consistait en gros à dire aux autres qu’ils n’avaient donc qu’à faire ce qu’ils voulaient avec leur crâne du moment que, cela leur plaise ou non, elle aussi faisait ce qu’elle voulait avec sa tête. Et ça je dois dire que ça n’était pas franchement pour me déplaire, non pas que je sois un révolutionnaire qui cherche à renverser coûte que coûte l’ordre établi, puisqu’en tant qu’évolutionnaire convaincu je me satisferais déjà très amplement de voir cet ordre établi évoluer, mais dans le bon sens bien sûr. Et à ce sujet, je ne vois pas pourquoi une femme qui aurait envie de se raser la tête n’en aurait pas le droit sans se faire critiquer, puisqu’on ne le fait pas avec les hommes.

Le problème tout de même semble être hormonal et se poser avec l’âge, puisque, comme on me l’avait expliqué jadis, en vieillissant la quantité d’hormones mâles chez les hommes et femelles chez les femmes tend à diminuer, la quantité d’hormones femelles chez les hommes (*) ainsi que d’hormones mâles chez les femmes restant la même. Aussi chez les femmes, la quantité d’hormones mâles augmentant proportionnellement à la quantité d’hormones femelles, d’aucuns ont cru y voir la raison pour laquelle les traits de leur visage auraient tendance tout naturellement à se masculiniser un peu les années passant. Or quoi qu'il en soit, je ne crois pas trop m’avancer en disant que perdre un peu de féminité, même à cause de l’âge, n’a jamais été chose agréable pour une femme, qui peut certes toujours essayer de se consoler cependant en songeant que finalement en vieillissant, hommes et femmes accèdent à un peu plus d’égalité au moins sur le plan physique où ils se rejoignent en quelque sorte. Il n’en demeure pas moins que pour les femmes arrivées à un certain âge, sacrifier leur chevelure reviendrait donc à priori à perdre encore davantage de féminité, même si à mon avis, tout comme pour l’inconnue aperçue sur le quai de la gare, il devrait là aussi y avoir des exceptions.

De toutes façons, personnellement je pense que chacun (et chacune) devrait pouvoir faire ce qu’il veut avec ses cheveux sans qu’on ait à s’en mêler, et puis voilà tout. Car au fond tout ça n’est peut-être qu’une simple question d’habitude.

(*) Car même les hommes ont des hormones femelles et les femmes des hormones mâles, en moindre quantité certes mais tout de même elles sont bien là.