top of page
Rechercher

Le féministe et la prostituée

Alain G

Dernière mise à jour : 4 avr. 2022

-Le féministe : Si tu veux, je pourrais t’aider à t’en sortir. -La prostituée : Qui t’a dit que je voulais m’en sortir ? -Le féministe : Tu ne vas pas dire que tu aimes te prostituer quand même ? -La prostituée : Je préfère ça plutôt qu’être femme de ménage en tout cas. -Le féministe : Quel mépris pour les femmes de ménage ! -La prostituée : Ce n’est pas du mépris, mais je préfère être à ma place qu’à la leur. -Le féministe : Vendre ton corps, c’est ça que tu préfères ? -La prostituée : Je ne vends pas mon corps mais juste un service. Mon corps je l’ai toujours récupéré après avoir fourni le service pour lequel on me paye. Je n’ai pas de proxénète à la différence de ceux qui travaillent pour un patron, car c’est le titre d’une chanson de Henri TACHAN que j’écoutais jadis quand je passais mon bac : on est tous des putes. -Le féministe : J’ai un patron et je n’ai pas l’impression d’être une pute. Je ne vends pas mon corps mais juste ma force de travail, mes compétences. -La prostituée : Moi non plus, je ne vends pas mon corps mais un service que je rends grâce à mon corps. Je ne vends pas plus mon corps qu’un masseur qui utilise ses mains et donc une partie de son corps pour gagner sa vie.

-Le féministe : Sauf que toi, ce n’est pas tes mains que tu utilises mais ton sexe. -La prostituée : Il m’arrive d’utiliser mes mains aussi. Tous mes clients ne veulent pas la même chose. Certains même me paient juste pour parler. -Le féministe : Alors pourquoi te cacher ? Pourquoi, ne pas exercer ton activité en plein jour ?

-La prostituée : Je ne travaille pas seulement la nuit. Il m’arrive de travailler le jour aussi, car je suis libre d’utiliser mon temps à ma guise, pas comme toi qui dois te soumettre à des horaires imposés par ton patron. -Le féministe : Que tu travailles le jour ou la nuit, peu m’importe : tu te caches pour travailler !


-La prostituée : Mes amis savent que je suis prostituée et ne me jugent pas, contrairement à toi. Mais il est vrai que je ne le crie pas sur les toits. Si je ne le fais pas, ce n’est pas parce que j’ai honte de ce que je fais, mais à cause de la mauvaise réputation qui entoure cette profession. Je ne suis pas maso au point de devoir me justifier à chaque fois que je sors. -Le féministe : N’empêche que tu as honte. -La prostituée : Je viens juste de te dire le contraire. Je veux simplement éviter d’être jugée en permanence par des gens comme toi qui sont persuadés de détenir la vérité. -Le féministe : Je ne sais pas si je détiens la vérité, mais je sais que la prostitution est un moyen pour les hommes de dominer les femmes.

-La prostituée : Rire. N’importe quoi. Je ne me sens pas dominée et même certains clients viennent me voir pour que je les soumette. Je ne dis pas cependant que les pauvres filles qui dépendent d’un proxénète ne sont pas soumises, mais ce n’est pas mon cas. Et puis si la prostitution était comme tu le dis un instrument de domination des femmes par les hommes, comment expliques-tu qu’il y ait tant d’hommes qui se prostituent : travestis, homosexuels et même gigolos ? -Le féministe : C’est un épiphénomène. La règle générale est celle de la femme contrainte. -La prostituée : Contrainte ? Qu’il y ait une majorité de femmes qui préféreraient faire autre chose, je veux bien l’admettre et même que la plupart soient maquées, mais d’abord ça n’est pas mon cas et ensuite c’est la vie qui nous contraint tous à exercer un métier, celui-là en valant bien un autre. Tu préférerais sans doute que je galère comme femme de ménage pour à peine le SMIC. -Le féministe : Il n’y a pas que femme de ménage comme métier. -La prostituée : Certes, mais imaginons un instant que toutes les prostituées, et tous les prostitués, car pour moi ils sont trop nombreux pour n’être qu’un épiphénomène, cessent tous ensemble leur activité du jour au lendemain, que deviendraient-ils ? Des chômeurs ? Les gens comme toi sont des idéalistes qui sont à côté de la plaque. La plupart des prostituées n’ont aucune formation. Voilà pourquoi je parle de femmes de ménage. -Le féministe : Eh bien soit, au moins recouvrerais-tu ta dignité de femme. -La prostituée : Domestique, tu parles d’une dignité ! -Le féministe : Au moins, n’aurais-tu plus besoin de te cacher. -La prostituée : Parce que tu trouves qu’il y a de quoi se vanter … d’être servante ? Moi j’en aurais plutôt honte ! Et mon niveau de vie qu’en fais-tu ? -Le féministe : Il n’y a pas que l’argent dans la vie.


-La prostituée : Ah oui, alors pourquoi travailles-tu si ce n’est pour l’argent ? -Le féministe : Je fais un métier qui m’intéresse, qui m’épanouit, j’ai étudié pour. -La prostituée : Mais je m’épanouis aussi parfaitement dans mon travail. -Le féministe : Je n’arrive pas à te croire. Tu es obligée de vivre en marge de la société. -La prostituée : Je ne vois pas en quoi, être prostituée c’est être marginale. -Le féministe : As-tu des enfants ? -La prostituée : Ah, nous y voilà : les enfants. Eh bien non, je n’en ai pas. C’est un choix. -Le féministe : Tu as choisi de ne pas en avoir parce que tu sais combien ce serait dur à assumer. -La prostituée : Tu te fais des idées. Je n’ai pas d’enfant parce que je l’ai décidé et mon métier n’y est pour rien. -Le féministe : Qu’en pense celui qui partage ta vie ? -La prostituée : Je vis seule. -Le féministe : Tu n’as pas de compagnon ou de petit ami ? -La prostituée : Trop risqué. La loi l’interdit. Si j’avais un compagnon ou un petit ami, il serait à coup sûr poursuivi pour proxénétisme, même s’il était complètement étranger à mon activité. C’est injuste, mais c’est comme ça. Et puis, je ne suis pas du genre sentimentale. -Le féministe : Tu te prives de ce que tout le monde recherche : l’amour ! -La prostituée : Ce n’est pas moi qui m’en prive, mais la société par ses lois iniques. Et puis, je ne suis pas sûre que l’amour soit ce que tout le monde recherche. Je crois que ça serait plutôt l’argent. -Le féministe : L’argent, voilà donc ta motivation ? -La prostituée : Eh bien oui, je ne suis pas différente des autres. -Le féministe : S’il n’y avait pas l’argent, tu ne te prostituerais pas ? -La prostituée : Évidemment que non, si on me payait davantage pour faire le ménage que pour faire la pute, je ferais le ménage, mais ce n’est pas dans ce monde-là que l’on vit et ce n’est pas moi qui l’ai conçu tel qu’il est.


-Le féministe : C’est donc la voie de la facilité, car si tu l’avais voulu tu aurais pu faire des études et peut-être gagner encore plus qu’en te prostituant ? -La prostituée : Des études, j’en ai fait un peu, mais sans doute pas les bonnes ni pas assez pour faire fortune. Alors peut-être que je suis fainéante, mais n’empêche, la vie est difficile et ça c’est la réalité. -Le féministe : Finalement, tu veux faire payer le monde d’être si dur en faisant payer tes clients. -La prostituée : Il y a peut-être de ça, car vu mes tarifs, ce n’est évidemment pas le prolétaire du coin qui peut se permettre de s’offrir mes services. -Le féministe : C’est écœurant. -La prostituée : C’est la vie … Tu n’as jamais payé pour ça ? -Le féministe : Pour faire l’amour jamais, car pour faire l’amour encore faut-il aimer et je ne crois pas être capable d’aimer si je dois payer. -La prostituée : Tu fais donc à chaque fois l’amour ? Tu n’as jamais baisé ? -Le féministe : Même si dans mon jeune âge, j’ai pu avoir des rapports sans lendemain, je n’aurais jamais imaginé devoir payer pour ça, car à vrai dire pour moi ça doit être gratuit. -La prostituée : Ben voyons, en fait je suis bien plus féministe que toi, car par l’argent on reprend le pouvoir que le genre masculin nous a volé. -Le féministe : D’abord si je dis que ça devrait être toujours gratuit, c’est parce que j’estime, même en baisant comme tu dis, fournir une prestation équivalente à celle de ma partenaire, et donc je ne vois pas pourquoi cela devrait être à moi de payer. Ensuite, pour ce qui est du féminisme tu n’y es pas du tout, car le féminisme ce n’est pas la suprématie d’un sexe sur l’autre, mais l’égalité. -La prostituée : Tu rêves. Derrière le sexe, il y a un enjeu de pouvoir. -Le féministe : C’est toi qui le conçois comme cela, car tu as une vision toute noire du monde, moi, il me reste encore de l’espoir. -La prostituée : Alors garde ton espoir et laisse moi tranquille, nous ne vivons pas dans le même monde. -Le féministe : Il n’y en a pourtant qu’un seul, celui dans lequel nous vivons tous les deux, et je ferai tout pour que ta vision du monde ne l’emporte pas sur la mienne.


-La prostituée : Ce qui veut dire ? -Le féministe : Je me battrai pour faire interdire la prostitution.

-La prostituée : Que deviendrais-je alors, y as-tu songé, hypocrite ? -Le féministe : Je me battrai aussi pour que cette interdiction s’accompagne de mesures qui permettent aux prostituées de se reconvertir. -La prostituée : Je n’ai aucune envie de me reconvertir, je veux juste pérenniser mon niveau de vie actuel et ça aucune loi ne pourra le permettre. -Le féministe : C’est là que le bât blesse et j’en suis désolé pour toi, mais c’est une question de valeurs. Adopter ta conception du monde reviendrait pour moi à renoncer à mon idéal et donc au sens que j’ai donné à ma vie. Je ne peux l’envisager. -La prostituée : Alors tu me trouveras sur ton chemin !

7 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Hypocrisie

Si on me demandait quel serait pour moi le comble de l’hypocrisie, je dirais que les exemples en la matière ne manquent certes pas, mais...

Sacrifice

Je n’ai pas la religion du sacrifice, mais je pourrais éventuellement faire le sacrifice de ma vie pour quelqu’un que j’aime ou, le cas...

Évolutionnaire

Quand j’étais jeune, j’avais, comme beaucoup d’autres jeunes je pense, une vision très idéalisée de la révolution. Et puis j’ai vieilli...

Comments


bottom of page