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Alain G

Les pompes à Dour

Dernière mise à jour : 28 oct. 2023

A 20 ans Dour était ce qu’on appelait dans ma jeunesse, et qu’on appelle sans doute encore, un sapeur, c’est-à-dire quelqu’un qui prenait grand soin à la manière dont il était sapé. Tout l’argent qu’il pouvait gagner allait en général dans les fringues qu’il pouvait bien s’acheter, et surtout dans les chaussures en particulier. En effet, les chaussures bénéficiaient d’un régime spécial puisqu’il les faisait fabriquer sur mesure, et il en était très fier. Être bien habillé et surtout bien chaussé le rendait tout simplement heureux. Ça le comblait et il rayonnait.

Quand on y pense, c’est quand même étrange que tant de jeunes soient à ce point sensibles à la manière dont ils sont habillés, alors qu’en vieillissant, sans pour autant y devenir forcément indifférents, ils finissent quand même par donner beaucoup moins d’importance à leur apparence vestimentaire, du moins en général car il existe bien sûr des exceptions. Peut-être cela vient-il du fait que jeunes, les garçons et les filles ont besoin de plaire pour séduire un ou une partenaire afin de pouvoir s’accoupler, de la même manière par exemple que chez les oiseaux à la saison des amours beaucoup tentent de séduire en arborant et déployant leur plus beau plumage, et cela dans le seul but bien sûr de pouvoir se reproduire, ce qui se voit quand même moins chez les individus plus âgés, toutes espèces confondues.

A 50 ans Dour, comme la plupart des hommes de son âge, était casé. Marié et père de famille, il était devenu chef d’entreprise et s’épanouissait véritablement beaucoup dans l’accomplissement de ses tâches professionnelles au quotidien. Désormais, il avait opté pour un style vestimentaire plus classique, puisqu’en tant que chef d’entreprise, le costume-cravate s’imposait afin de satisfaire sa clientèle, qui aurait trouvé sûrement déplacé qu’il adopte une autre tenue pour les accueillir. Mais il n’en restait toutefois pas moins fidèle d’une certaine manière à son passé de sapeur, puisque ses costumes et cravates étaient toujours choisis avec soin, et il avait d’ailleurs une réputation de personne très élégante dans son entourage et auprès de sa clientèle. Côté chaussures, elles étaient toujours impeccables, et même s’il ne les faisait pas toutes fabriquer sur mesure comme jadis, on peut franchement affirmer sans trop se tromper que c’était quelqu’un qui aimait être à l’aise dans ses pompes, mêmes si dans sa profession c’est à une autre catégorie de pompes auxquelles il était amené à s’intéresser, puisqu’en effet il était devenu l'heureux patron d'une entreprise de pompes funèbres. On peut ainsi dire qu’en fait d’une certaine façon sa passion pour les pompes que l’on porte aux pieds s’était tout simplement quelque peu déplacée vers celle pour les pompes qu’on appelle funèbres. Mais pour Dour funèbre ne voulait pas dire sinistre. En effet, il faisait vraiment tout ce qu’il pouvait pour rendre les cérémonies qu’il organisait les moins tristes possible, sans néanmoins bien sûr tomber dans la joie et la gaîté pour autant, mais il faisait vraiment de son mieux pour accompagner les familles en deuil, afin de les soulager au maximum de leur douleur bien légitime. Toutefois, malgré son grand investissement professionnel, il n’en oubliait pas pour autant sa passion pour les belles chaussures, puisque sans vouloir faire un trop mauvais jeu de mots c’était aussi comme ça qu’il prenait un peu son pied : être bien chaussé tout en prenant plaisir, ainsi chaussé, à satisfaire sa clientèle dans le cadre de son activité professionnelle qui lui apportait également beaucoup de satisfaction.

Ah mais qu’elles étaient belles les pompes à Dour, et il ne reste plus qu’à espérer maintenant qu’elles le resteront encore longtemps.

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