Si j’avais un conseil à donner à l’enfant que j’étais, qui de toute façon ne m’écouterait sans doute pas, d’autant qu’il m’a fallu justement faire les bêtises que j’ai faites enfant pour en prendre conscience et pouvoir lui donner aujourd’hui ce conseil : je lui dirai surtout ne cherche pas à te la procurer, car tu ne feras que des bêtises avec cette carabine à air comprimé. Car oui, j’en ai faites des bêtises avec ce fusil à plomb. Je ne vous les raconterai pas toutes, n’en étant pas particulièrement fier et puis j’en oublierais certainement quelques unes qui seraient jalouses de ne pas avoir été racontées elles aussi. Alors je ne vous en raconterai qu’une seule qui avait particulièrement traumatisé l’enfant que j’ai été, et qui continue malgré tout à hanter ma mémoire, car sinon je ne m’en souviendrais évidemment plus.
Je ne sais pas pourquoi tout ce qui peut ressembler à une arme fascine tant les garçons en général, à croire que Dieu a envie de nous voir les utiliser, aime nous voir nous battre tout comme beaucoup d’entre nous aimons aller voir un match de boxe où sur le ring les participants se tapent en fait dessus tout le temps que dure le combat. Nous sommes peut-être son spectacle, tout comme les boxeurs peuvent être le nôtre. Nous nous imaginons que Dieu doit être bon car l’idée que Dieu puisse être mauvais nous est insupportable. C’est sans doute pour cela que nous avons inventé le diable, le bouc émissaire parfait pour dédouaner Dieu de sa « mauvaiseté ». Oui je sais ce mot n’existe pas vraiment mais à mon avis il devrait, car il ne recouvre pas totalement la même réalité que la méchanceté. Être mauvais et être méchant, ce n’est pas exactement pareil tout de même, sinon pourquoi avoir inventé deux mots différents pour désigner la même chose ? Quoi qu’il en soit, s’il y a un bon Dieu, il y en a logiquement aussi un mauvais. Or si Dieu est unique, c’est obligatoirement qu’il peut à la fois être bon ou/et mauvais. Le diable, s’il existe ne serait alors somme toute que l’auxiliaire de Dieu, un être que Dieu aurait en quelque sorte recruté pour ses talents à faire le mal, mais tout comme dans le livre de Job, le commanditaire ou le décisionnaire reste et demeure Dieu. Et d’ailleurs un Dieu qui a besoin d’être prié pour faire le bien est-il en effet un Dieu bon par nature ? Un Dieu qui serait bon par nature ne ferait-il pas de lui-même le bien sans qu’on ait à le lui demander, à l’en prier ? A moins bien sûr que c’est l’Homme qui est mauvais par nature et si Dieu, au contraire bon par nature, était bon avec l’Homme qui est naturellement mauvais, il deviendrait automatiquement mauvais lui aussi par voie de conséquence. Être bon avec un salaud n’est-ce pas en effet le signe qu’on est soi-même mauvais ? Mais peut-être, puisque, paraît-il, il nous a fait à son image, tout comme l’Homme qui peut être parfois capable du meilleur mais aussi souvent du pire, est-il lui-même tour à tour bon ou mauvais quand il lui plaît de l’être. Étant Dieu après tout ne peut-il pas faire ce qu’il veut, sans avoir de compte à nous rendre, à nous misérables créatures ? Mais admettons que Dieu soit bon, que le diable (mauvais Dieu par conséquent : il y en aurait donc au moins deux, voire beaucoup plus, ce qui pose la question d’une éventuelle hiérarchie entre eux et d’un chef ou de plusieurs qui se feraient alors peut-être la guerre entre eux) existe, et que l'Homme ne soit ni bon ni mauvais mais puisse être l’un ou l’autre, sous l’influence peut-être d’anges ou de démons, de dieux ou de déesses, ou quels que soient leurs noms. Alors ce serait commode pour moi de dire que c’est parce que, enfant, j’ai été tenté par une force obscure à faire mes bêtises avec ce fusil à air comprimé que cela est de ce fait arrivé.
La vérité, je ne la connais pas, mais je crois que s’il y a des démons il sont bel et bien en nous, qu’ils font partie intégrante de nous et qu’il faut vraiment avoir une haute force morale ou spirituelle pour ne pas faire ce qu’ils veulent que l’on fasse, surtout lorsqu’on est enfant et qu’on expérimente la vie, qu’on apprend en se trompant, en faisait des erreurs et même en commettant des fautes, car en général n’est-ce pas en effet après s’être brûlé au moins une fois, qu’on apprend ce qui peut arriver quand on joue avec le feu ? Moi avec ce fusil à plomb, quand j’avais plus ou moins une dizaine d’années, j’ai tué un moineau, et croyez-moi pour l’enfant que j’étais, j’avais bel et bien commis un crime. Car je ne l’avais pas fait pour me nourrir comme pourrait l’avoir fait un chat par exemple, mais juste parce que ça me tentait. Je voulais savoir ce que ça faisait de viser juste et de toucher l’oiseau qui était perché sur l’arbre du voisin. Plusieurs fois j’ai essayé, et heureusement plusieurs fois je l’ai raté. Mais hélas, j’ai insisté et j’ai fini par l’abattre. Je me souviens encore du cri qu’il a poussé en voulant s’envoler avant de tomber sur le sol, raide mort. Je me suis senti soudain envahi par une profonde culpabilité : j’étais devenu un assassin, j’allais finir en enfer pour ce crime. Alors, j’ai recueilli le cadavre de l’oiseau et lui ait donné une sépulture pour essayer de me donner bonne conscience, car ça pesait beaucoup sur la conscience de l’enfant que j’étais alors. Avec le temps bien sûr on relativise, on s’endurcit (malheureusement peut-être), mais au fond ça ne guérit jamais, le mal qu’on peut faire pour peu qu’on ait un tant soit peu de conscience ne se répare pas. Ce qui est fait est fait pour l’éternité, voilà tout. Pourtant j’ai l’impression de ne pas avoir un mauvais fond, ou alors que dire de ceux qui ont fait bien pire et continuent mêmes adultes dans la même direction ? Mais de toute façon, ça ne réconforte que faussement de se convaincre qu’il peut y avoir pire que soi. Il me semble au fond que très probablement on ne naisse pas bon, mais qu’en revanche on peut le devenir, ce qui nécessite des efforts. Je crains en effet que naturellement on serait plutôt enclin à être mauvais. Je veux dire que le carnivore qui est en nous et qui n’a bien sûr pas demandé à être carnivore se nourrira d’autant mieux qu’il est fort et sans état d’âme. Plus tard, devenu adolescent j’ai tué une souris qui avait eu le malheur de s’égarer dans la maison que j'habitais alors. Je l’ai écrasé et c’était vraiment désagréable de sentir cette masse molle sous mon pied. Était-ce parce que j’avais grandi ou parce que je l’ai tué presque par réflexe, sans vraiment le vouloir, que je m’en suis senti moins coupable qu’avec l’oiseau que j’avais abattu. Qu’est-ce qui fait qu’avec l’âge on s’endurcit ainsi ? Mais quoi qu’il en soit, on a beau vieillir, on demeure toujours celui qui s’est construit à partir des expériences qu’il a vécu. Néanmoins puisqu’il faut conclure, on ne réalise pas me semble-t-il la chance que l’on a de vivre dans un pays où les armes ne sont pas en vente libre, car si enfant au lieu d’une carabine à plomb j’avais réussi à me procurer une arme beaucoup plus létale, Dieu seul sait quelle autre bêtise autrement plus grave j’aurais pu commettre avec. Les armes, qui à priori n’ont d’autre raison d’être que de tuer ou blesser, ont en effet de mon point de vue quelque chose de maléfique (à moins bien sûr qu’elles ne font que réveiller en nous notre côté maléfique). Reste que cette maladie des armes affecte essentiellement les garçons et pas trop les filles, pourquoi ? Est-ce culturel, génétique, voire un peu des deux ?
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