A ton avis, demanda Justin, les gens qui prient, croient-ils réellement que leurs prières servent à quelque chose ? Parce que franchement si tu prends, toutes religions confondues, les milliards d’individus qui n’ont pas arrêté de prier depuis des millénaires, le résultat est carrément négatif, au regard de l’état du monde actuel.
Peut-être, répondit Francis, mais qui sait si l’état du monde ne serait pas pire encore sans leurs prières.
Tu crois vraiment ça, s’étonna Justin ?
J’en sais rien, souffla Francis, mais on peut tout imaginer, dans la mesure où on ne dispose d’aucun élément pour l’affirmer ni affirmer le contraire…
S’en suivit alors, cette brève discussion aux allures métaphysiques :
Justin : Il faudrait vraiment que Dieu ait un mauvais fond pour ne pas faire mieux malgré toutes ces innombrables prières qui lui sont, et lui ont été adressées depuis que l’Homme existe. Moi je croyais au contraire que Dieu était bon par nature et que c’est le diable en revanche qui était mauvais par essence.
Francis : Ça, c’est ce que les hommes espèrent, parce qu’ils refusent d’envisager que Dieu puisse être mauvais. C’est pour ça, à mon avis, qu’ils ont inventé le diable. Et d’ailleurs, un Dieu qui a besoin de se faire prier pour faire le bien est-il foncièrement bon ? De mon point de vue, il le serait sans conteste s’il faisait le bien sans qu’on ait besoin de le lui demander, de l'en prier.
Justin : Mais pourquoi serait-il mauvais s’il nous demande d’être bons ?
Francis : Ça, ce sont les religions qui prétendent que Dieu nous demande d’être bons, moi j’en sais rien. Et puis pourquoi faudrait-il qu’il ait à se justifier, s’il est Dieu, d’être bon ou mauvais ? S’il est Dieu, il fait ce qu’il veut, non ?
Justin : Je ne m’étais jamais représenté Dieu de cette manière, ni j’en suis sûr la majorité des gens sur Terre.
Francis : Pour moi, si Dieu est Tout, il est alors autant le bien que le mal. Qui sait du coup s’il n’est pas intérieurement tiraillé entre ces deux forces opposées que sont le bien et le mal, et qui sait si les prières ne serviraient pas en fin de compte à l’inciter à faire pencher la balance du bon côté, à ne pas céder au mal qui est souvent chez l’Homme en tout cas la solution de facilité ? Peut-être que c’est la même chose avec Dieu : en le priant, on l’encouragerait à ne pas tomber dans la facilité et à se dépasser en quelque sorte !
Justin : Tu crois donc que la prière a une utilité somme toute ?
Francis : Personnellement, je ne prie guère, à part peut-être quand je croise les doigts, car en croisant les doigts, quand ça m’arrive, j’adresse bel et bien en fait une prière à la providence, je sollicite la chance c’est-à-dire Dieu en définitive, pour qu’il me favorise au lieu de me défavoriser. Donc oui, on peut dire, d’une certaine façon que d’une manière plus ou moins consciente, je dois croire que la prière peut avoir une certaine utilité, ne serait-ce qu’en calmant l’angoisse qui se cache derrière, même si dans le même temps je pense à priori contradictoirement que c’est une perte de temps, et qu’au lieu de passer tout ce temps à prier, on ferait mieux de l'utiliser, ce temps, afin d'agir concrètement pour que le monde soit meilleur du fait de nos actions plutôt que du fait de nos prières.
Justin : Avant d’aborder la question avec toi, j’étais indécis, mais maintenant je suis carrément dans le flou le plus complet. Franchement, si j’avais su ! ... Mais tout de même si on y réfléchit un peu, on devrait néanmoins se dire que dans le doute quant à l'utilité réelle ou supposée de la prière, le mieux serait, me semble-t-il, de s'abstenir ... et comme tu le dis de préférer agir au lieu de prier. Ça paraît quand même plus intelligent. Enfin, bon, moi ce que j'en dis après tout ... alors voilà restons en donc là !
Francis : Oui tu as sans doute raison, mais quand même s’agissant de s’abstenir, j’ai néanmoins un doute quant à savoir s’il est préférable de s’abstenir de prier, ou de s’abstenir de ne pas prier, dans la mesure bien sûr où on n'oublie pas d’agir par ailleurs, qu’on ne se contente pas de prier, mais qu’on fait aussi ce qu’il faut dans le même temps pour mettre ses prières et ses actes en adéquation.
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