Après m’être fait agressé, comme je l’ai raconté dans « Police de classe », j’ai passé la nuit aux urgences où je croyais qu’on m’aurait recousu la plaie que j’avais à la tempe gauche, sinon promptement au moins avec une certaine diligence, dans la mesure où j’étais convaincu que dans ce qui s’appelle « Les urgences » on traitait d’abord les cas les plus urgents avant de s’occuper ensuite des cas moins urgents. Et je pensais naïvement qu’une plaie ouverte nécessitant qu’on la referme relativement vite était une urgence plus urgente qu’une cheville foulée par exemple. Or dans la salle d’attente des urgences, qui ressemblait étrangement à celle d'un cabinet de médecin de ville ouvert la nuit où l’on passait en fait selon son ordre d’arrivée, sans que l’interne en charge de ces urgences ne fasse le tri entre ce qui relève du plus urgent et ce qui relève du moins urgent, il y avait justement un jeune ado qui je suppose, compte tenu de sa difficulté à marcher normalement sans boiter un peu, avait sans doute dû se fouler le pied, ou quelque chose comme ça. En mon for intérieur, je me suis dis qu’un cas comme celui-là, outre qu’il me semblait moins urgent à traiter que le mien (alors même que j’avais, à l’occasion de l’un de ses brefs passages dans la salle d’attente, signalé à l’interne que sous mon bandage il y avait une plaie béante, sans que cela n’ait semblé ne serait-ce qu’un peu l’affecter, mais ce dont toutefois après avoir vu de ses yeux la relative importance de cette plaie lorsqu’il fut sur le point de la recoudre, s’en est quand même excusé), relevait davantage de la compétence d’un médecin de ville traditionnel ouvert le jour, ou à la rigueur d’un médecin de garde, plutôt que des urgences.
Mais ça c’était avant que mon médecin traitant ne nous laisse tomber en partant, presque du jour au lendemain, à la retraite.
Aujourd’hui, je me dis que peut-être, comme ça m’est arrivé après que mon médecin ne nous abandonne, il s’agissait là déjà d’un patient qui lui aussi s’était retrouvé sans médecin traitant, et qui avait donc bien été obligé de se tourner vers les urgences pour que quelqu’un s’occupe de lui. Songez en effet qu’en France il va peut-être bientôt devenir presque aussi difficile de trouver un docteur que dans certains pays sous-développés. Car oui, après la défection de mon médecin traitant, j’ai moi-même eu tout le mal du monde à retrouver un médecin traitant qui accepte de me prendre comme patient. Après avoir téléphoné à je ne sais plus combien de cabinets autour de chez moi, et sollicité l’intervention de la Sécu pour y arriver, j’ai quand même tout récemment réussi à trouver pas trop loin de chez moi un médecin qui, venant de s’installer, a accepté de me prendre en tant que médecin traitant. Mais que cela a été pénible et angoissant, car étant en ALD (Affection Longue Durée), sans médecin pour me délivrer l’ordonnance dont j’ai besoin afin de pouvoir me soigner, mon état aurait forcément été en s’aggravant. Et encore je m’estime heureux de n’être que diabétique, car en ALD il y a tous ceux qui sans leur traitement risquent tout simplement de mourir. Je pense notamment aux malades du cœur. Pour tous ceux-là, je pense qu’il va falloir envisager très sérieusement de déposer des plaintes, j’espère collectives, pour notamment mise en danger de la vie d’autrui ou non assistance à personnes en danger ! Car ça me semble évident, il y aura des morts, s’il n’y en a pas déjà eu. Des morts qui bien sûr auraient pu être évitées, et dont il faudra bien qu’un jour ou l’autre, s’ils sont toujours vivants, les responsables aient à en répondre. Ces responsables espèrent sans doute que ces morts seront silencieuses et passeront inaperçues, et pour l’instant j’avoue être étonné de voir à quel point ce scandale, car c’en est un, semble presque invisible.
Au premier rang de ces responsables, on trouve bien sûr les hommes politiques qui ont institué ou aggravé le numerus clausus, mais aussi tous ceux qui après eux ne sont pas revenus dessus, qui ne l’ont pas supprimé ou au moins assoupli.
Bien sûr, ils vous diront tous aujourd’hui qu’ils ne pouvaient pas savoir à l’époque qu’au début des années 2010-2020 il y aurait autant de médecins qui allaient partir en retraite.
Dans ce cas, qu’ils rendent donc tous (ça remplira un peu les caisses de l’État) l’argent qu’ils ont perçu toutes ces années en tant que responsables. Car un responsable ne peut pas, en tant que responsable, prétendre qu’il ne savait pas, parce que s’il a été désigné comme responsable, c’est justement parce qu’il était censé savoir ce que les autres ignorent, et ce qui fait d’ailleurs que ces « ignorants » ne peuvent pas prétendre comme lui au titre de responsable et aux avantages qui bien sûr vont avec.
Je ne dis évidemment pas que les hommes ou les femmes désignés comme responsables étaient censés tout savoir personnellement, mais qu’avant de prendre n’importe quelle décision que leur position leur permettait de prendre, ils se devaient de recueillir toutes les informations nécessaires à leur prise de décision, que ce soit eux-mêmes individuellement ou que ce soit les services travaillant pour eux et chargés de leur expliquer les tenants et les aboutissants de la ou les décisions qu’ils envisageaient de prendre. Ça me semble être la base.
Et ils ou elles ne peuvent pas dire, compte tenu de la courbe des âges qui leur a forcément été fournie, qu’ils ne savaient pas qu’à un moment donné à cause du numerus clausus il n’y aurait pas assez de nouveaux médecins pour compenser le départ en retraite des anciens, et cela sans compter l’apparent changement de mentalité des jeunes médecins qui ne semblent plus aussi motivés aujourd’hui pour s’investir autant que leurs aînés dans l’exercice de leur activité professionnelle. Donc oui, même si peut-être ils pensaient bien faire à l’époque, on peut assurément affirmer aujourd’hui que la classe politique quasiment dans son ensemble, puisque droite et gauche ont poursuivi la même politique en la matière, a sciemment, et je trouve avec beaucoup de légèreté, organisé la pénurie actuelle des médecins au nom de l'idée stupide selon laquelle avec moins de médecins, il y aurait forcément moins de malades que la Sécu aurait à prendre en charge.
Et puis plus récemment, au nombre de ces responsables, il y a ceux qui nous ont obligé à prendre un médecin traitant afin de pouvoir être remboursés entièrement.
En soi, c’est à priori plutôt une bonne initiative pour rationaliser le système, mais pas s’ils savaient (et comme je viens de l’expliquer, ils ne pouvaient pas l’ignorer) qu’il n’y aurait pas assez de médecins traitants pour tout le monde.
Avant qu’on ne mette en place cette réforme du médecin traitant, les médecins généralistes ne tenaient pas de liste de leurs patients et acceptaient comme patients tous ceux qui se présentaient à leur cabinet. Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui, car je ne sais pas si vous avez remarqué mais depuis tous, ou presque tous les médecins généralistes ne reçoivent plus que sur rendez-vous. Est-ce un hasard ?
Moi personnellement ça m’arrange plutôt de ne pas trop avoir à attendre en salle d’attente, à condition toutefois qu’il n’y ait pas une pénurie de médecins, pénurie qui surtout aurait pu et dû être évitée.
Évidemment, on nous dira qu’ils ont bien été obligés d’en passer par cette réforme pour arrêter l’hémorragie que constituaient tous ces malades qui allaient consulter plusieurs médecins généralistes ou spécialistes à chaque fois qu’ils étaient souffrants. D’abord, c’est une idée certes très répandue, mais personnellement je demande quand même à voir si c’est bien à cette cause que serait due le déficit de la Sécu. Pour l’instant, je n’y crois qu’à moitié, car si c’était bien le cas, cela voudrait dire qu’il y a vraiment beaucoup d’hypocondriaques en France, ce qui aurait au moins dû pousser la Sécu à mettre en place un protocole pour soigner ces malades, car à ma connaissance l’hypocondrie est bien une maladie. Il paraît d’ailleurs que l’hypnose marche plutôt pas mal à ce sujet, enfin c’est ce qu’on dit. Et puis, même si on ne voulait pas en passer par une réponse médicale concernant l’hypocondrie, on aurait tout simplement pu, pour stopper cette hémorragie, si hémorragie il y avait bien, décider de ne plus rembourser les consultations effectuées en doublons ou triplons. Ça n’aurait pas été très difficile à faire, et je suis convaincu que cela aurait suffi à y mettre très rapidement un terme. Et c’est là qu’on aurait vu les médecins protester de ne plus avoir assez de clients pour faire tourner leur cabinet, dit-il malicieusement en souriant.
Et enfin, pour redevenir sérieux, parmi ces responsables, il y a aussi les médecins généralistes eux-mêmes qui se disent débordés et qui refusent donc de prendre de nouveaux patients, notamment ceux en ALD, alors qu’ils refusent dans le même temps de débloquer au moins provisoirement la situation en n’autorisant pas par exemple les infirmiers en pratique avancée à délivrer les renouvellements d’ordonnances dont ces patients ont un besoin vital ou quasi vital.
Alors selon vous le scandale finira-t-il par éclater, ou parviendra-t-on à l’étouffer ? Mystère !
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