J’ai été embauché au début des années 90 à l’Office Public d’Aménagement et de Construction du Pas-de-Calais après avoir répondu à une annonce, alors que je cherchais à quitter la mairie qui m’employait dans le cadre d’un travail, certes intéressant, mais qui ne m’offrait d’autre perspective de promotion que la réussite toute aléatoire à un concours, qu’il m’aurait fallu préparer en faisant le deuil de mon temps libre. Si le maire m’avait proposé un contrat qui m’aurait permis d’améliorer mes conditions de travail et notamment de gagner un peu plus, je serais probablement resté à la mairie où il me semblait avoir largement fait mes preuves. Mais le secrétaire général, qui à ma connaissance l’était sans en avoir passé aucun, voulait absolument que je passe le concours correspondant à mon niveau d’études, c’est-à-dire celui d’attaché territorial. Sauf qu’étant méfiant par nature, je me suis dit que même si je parvenais à réussir ce concours, qui comme tout concours n’avait rien d’évident, je n’aurais jamais eu la garantie qu’après certes les félicitations d’usage, on ne vienne pas me voir l’air faussement attristé pour m’annoncer qu’il n’y avait hélas pas de poste disponible au grade d’attaché territorial à la mairie actuellement. Et oui, ça s’est déjà vu. Que voulez-vous on vit vraiment dans un monde fantastique qui donne tellement l’envie de faire des enfants que très tôt j’ai décidé de n’en avoir aucun.
C’est ainsi que j’ai atterri à l’OPAC62, établissement public en voie, en quelque sorte, de privatisation, dans un service où mes deux autres collègues au même poste étaient encore fonctionnaires, alors que moi j’arrivais avec le statut de salarié de droit privé. Autant dire que pour elles, j’étais une sorte d’intrus, ce dont à vrai dire à l’époque je ne m’étais pas rendu compte. Ce n’est que bien après, en mûrissant et avoir eu le temps d’y bien réfléchir, que ça m’est apparu comme une sorte de quasi-révélation. Pour elles, j’étais probablement une menace eu égard à leur statut. Elles me prenaient sans doute pour un jeune aux dents longues qui risquait de remettre en question leur place au sein de l’entreprise. D’une certaine manière j’étais leur ennemi. Aussi furent-elles sans doute soulagées quand je me suis fait licencié, mais c’est là déjà une autre histoire que j’ai déjà un peu raconté dans le texte que j’ai appelé « Opaque ».
Quand j’ai enfin compris que j’avais été leur ennemi de fait, je me suis remémoré une anecdote que j’avais trouvée insignifiante à l’époque, mais qui par la suite m’est apparue sous un tout autre éclairage.
C’était une réception à caractère professionnel mais dans une ambiance un peu festive, genre réunion où des acteurs d’un même secteur se rencontrent pour parler boulot un verre à la main si je me souviens bien, car ça fait quand même un bail.
Pour me rendre à cette réception, on m’avait laissé sur mon bureau, sans que je sache qui me l’avait déposé, un badge avec mon nom inscrit dessus.
Je ne me souviens plus si les autres participants en avaient un aussi ou si j’étais le seul de toute l’assemblée des participants à en arborer un, c’est dire à quel point j’y avais prêté attention. Je trouvais en effet normal, puisqu’on me l’avait fourni, de le porter.
Ce n’est que quelques jours ou même plusieurs semaines plus tard, je ne sais plus, qu’on m’a appris que c’était en fait une blague, bref de l’humour dont je ne m’étais pas franchement rendu compte. Je devais être encore très naïf en ce temps là, alors même que je me croyais pourtant déjà très aguerri.
En fait, elles me prenaient pour un arriviste prêt à tout pour tracer sa route, un jeune loup aux dents acérés prêt à les dévorer, alors que je voulais juste comme tout le monde un emploi qui m’offre une rémunération correspondant un tant soit peu à mon niveau d’études, car sinon à quoi bon faire des études si c’est pour gagner le salaire minimum au même titre que ceux qui n’en ont fait aucunes.
Quand j’y repense, ça ressemblait à vrai dire à une sorte de lutte de classes un peu inversée où les privilégiés sont des fonctionnaires qui cherchent à empêcher que des non fonctionnaires ne viennent ne serait-ce que potentiellement remettre en cause leur sacro-saint statut. C’est comme si elles cherchaient à faire savoir qu’elles veulent rester entre fonctionnaires et que tous les autres ne sont pas les bienvenus. Je précise en outre n’être pas sûr du tout qu’elles soient devenues fonctionnaires au terme d’un concours, car il fut un temps me semble-t-il où cela était possible, et peut-être d’ailleurs l’est-ce toujours, qui sait.
Quant à la blague du badge, si c’était bien soi-disant de l’humour, rétrospectivement je le vois tout de même plutôt noir, voire très noir comme humour.
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