Vulcain, que tout le monde appelait Vul, n’avait rien d’un dieu. Bien au contraire, il était même plutôt possédé par un démon. Alcoolique, s’il fallait cependant vraiment lui trouver un point commun avec le dieu du feu dont il portait le nom, ce serait sans doute qu’en cas d’incendie, il aurait probablement eu peu de mal à s’enflammer littéralement, tant il était parfois imbibé d’alcool.
Ses journées quand il était en état d’y être, il les passait sur le balcon de son appartement du premier étage où il avait vue sur la place centrale de toute la résidence, et d’où il était en mesure d’apostropher presque tous les passants, résidents ou visiteurs, qui s’aventuraient par là. Même s’il ne les connaissait pas, il leur adressait un bonjour pour entamer une plus ou moins brève conversation, histoire de parler un peu avec eux, tant c’était chez lui un besoin quasiment viscéral.
Se croyant sans doute plus drôle que d’habitude, il interpella un jour de cette manière un des locataires de la résidence, qui avait la particularité d’être obèse, par un « Hé bonjour, ça va le gros », précisant immédiatement qu’il ne fallait surtout pas le prendre mal, que ça n’était pas méchant mais juste pour rire, ce à quoi la personne concernée lui répondit : « Y a pas de mal le poivrot … non vraiment, pas de problème », ce qui l’avait laissé sans voix, lui qui pourtant en avait une qui portait loin, haut et fort.
A plus de soixante ans, il avait encore parfois un comportement qui siérait davantage à un adolescent, ce qui fit dire à une de ses voisines qu’il était un peu fou, pas vraiment totalement non, mais quand même sûrement au moins un peu. En fait, quand lui passait une envie par la tête, il ne se retenait pas pour la mettre en œuvre, tout comme quand il avait envie de boire, il buvait, un point c’est tout. C’est ainsi qu’un jour, on ne sait pas pourquoi lui vint l’idée d’écouter sa musique à fond. Alors tout comme quand il avait envie de boire, il buvait, il mit tout naturellement le volume de son appareil au maximum estimant que puisqu’il était chez lui, il avait le droit d’y faire ce qu’il voulait. Évidemment, son voisin du dessus ne l’entendit pas de cette oreille et alla le lui reprocher. Vul n’apprécia que moyennement cette démarche, et bien qu’il lui promit de baisser le son, il n’en fit rien et pour bien montrer que personne ne lui dicterait sa conduite, il se mit à écouter à plusieurs reprises toujours aussi fort une chanson dont le refrain disait « chacun fait ce qu’il lui plait, plait, plait », démontrant bien ainsi au demeurant qu’il était tout à fait conscient que cela s’entendait chez son voisin, et que ça pouvait donc le gêner, mais apparemment ça n’avait pas l’air de le déranger plus que cela tant qu’il était à même de satisfaire son envie du moment. Son voisin bien sûr finit par appeler la police, ce qui le calma un temps, mais ne l’empêcha pas de recommencer quelques jours plus tard. Croisant son voisin dans la cage d’escalier la semaine suivante, faisant comme si de rien n’était, il lui dit « tiens bonjour, ça va ». L’autre évidemment ne rentra pas dans son jeu et lui répondit de but en blanc que non, désormais il ne disait plus bonjour aux emmerdeurs. Vul monta alors sur ses grands chevaux et joua l’offensé, que non il n’était pas un emmerdeur mais qu’il avait le droit de faire ce qu’il voulait chez lui. S’en suivit ce petit échange.
Le voisin : « Tu es peut-être chez toi pour le moment, mais si tu continues il n’est pas exclu que tu t’en fasses expulsé. Car non, tu ne peux pas y faire ce que tu veux. Si tu veux écouter ta musique à fond, installe-toi donc dans une maison individuelle si possible au milieu des champs, mais là vois-tu c’est un immeuble collectif et il y a des règles à respecter pour ne pas gêner le voisinage. Si à ton âge, tu ne sais pas ça, alors retournes voir ta mère pour qu’elle refasse ton éducation, car franchement là les bras m’en tombent. Regarde le mot collectif dans le dictionnaire et lis la définition, tu apprendras quelque chose au moins. Emménage donc au milieu des champs si tu tiens tant à pousser le volume de ton appareil au maximum pour écouter ta musique, mais n’oublie pas alors que tu seras tout seul sans plus personne à qui parler. Tu es déjà un peu fou comme ça, mais alors là je crois bien que tu le deviendrais complètement. A toi de voir, parce que moi tu peux me faire confiance, non seulement je vais rappeler la police autant de fois qu’il le faudra et tu finiras bien par te prendre une amende, si ce n’est plusieurs, mais je vais aussi me plaindre auprès du bailleur, alors prend garde, tu n’es pas si fort que tu le crois ! »
Vul : « Si tu vas voir le bailleur, n’oublie pas de lui demander pourquoi les appartements sont si mal insonorisés, ça m’intéresserait de savoir ce qu’il te dira.»
Le voisin : « Qu’est-ce que la mauvaise insonorisation des appartements vient faire là-dedans ? Qu’est-ce que ça a à voir avec ce qui nous occupe là maintenant ? »
Vul : « Ça a à voir que tout ça c’est que magouilles et compagnie, car si au lieu de détourner l’argent à plein nez à coups de commissions occultes, rétro commissions éventuelles tout aussi occultes ou que sais-je encore, ils avaient utilisé tout l’argent prévu pour la construction du bâtiment dans la construction et rien d’autre, les appartements ne seraient pas si mal insonorisés, et il n’y aurait alors pas de problème ! »
Le voisin : « Mais qu’est-ce que tu viens m’embrouiller la tête avec tes histoires de détournement d’argent. Moi je te parle de respect du voisinage et toi tu ramènes cette affaire à des considérations d’ordre politique. Mais tu te fous de ma gueule en plus. Si tu trouves que c’est mal géré, exprime ton mécontentement en manifestant ou en votant au moins, mais ne viens pas détourner la conversation vers quelque chose qui est hors sujet!»
Vul : « Alors tu t’en fous qu’ils s’en mettent plein les poches sur notre dos ? »
Le voisin : « J’ai jamais dit que je m’en foutais, et puis de toute façon si c’est vrai c’est comme ça partout, aussi bien à droite qu’à gauche, mais là franchement c’est pas le sujet.»
Vul : « Ben, si c’est pas le sujet, fais ce que tu veux, je m’en fous ! » dit-il en ouvrant la porte de son appartement et en s’y engouffrant.
Finalement quand on y réfléchit, Vul était en quelque sorte en guerre contre tout ce qui pouvait l’empêcher de réaliser ses envies, une vulgaire guerre comme il en existe des tas pourrait-on dire, si ce n’est une guerre vulgaire comme le sont sans doute certes toutes les guerres, à part bien sûr la guerre que l’on devrait tous mener en nous contre nos démons intérieurs, sauf que là non ce ne serait du coup plus guère la guerre de Vul.
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