Il est des phrases qu’on prononce comme on assènerait des vérités. L’une d’elles dont j’ai déjà parlé, et avec laquelle je ne suis évidemment pas d’accord, est : « Quand on veut, on peut ».
C’est entré dans le langage courant et tout le monde y acquiesce généralement de bonne grâce. C’est pourtant une phrase très culpabilisante, car elle suppose que si vous échouez, eh bien c’est parce que vous ne l’avez pas suffisamment voulu, ou que vous ne vous êtes pas assez donné les moyens d’y arriver. En plus, elle me semble largement fausse, car par exemple si vous vouliez plus que tout aller sur la lune faire un petit tour, équipé d’un scaphandre adéquat et de tout ce dont vous pourriez avoir besoin pour ce court séjour, alors pour cela il aurait fallu que très tôt dans votre vie vous en exprimiez le désir, afin de pouvoir vous orienter dans une filière professionnelle vous permettant de devenir astronaute une fois devenu adulte, car évidemment dans le cas contraire, vous auriez beau le vouloir de toutes vos forces, vous ne pourriez juste qu’en rêver.
Néanmoins, même si vous aviez fait tout ce qu’il faut depuis vos plus jeunes années pour pouvoir devenir astronaute, vos chances d’aller sur la lune resteraient minimes, car il faudrait pour cela que des gouvernements votent les crédits nécessaires à la réalisation d’un tel projet très onéreux, et qu’ensuite vous soyez suffisamment verni pour être choisi parmi tous les prétendants pouvant s’être portés candidats. En effet, on forme des astronautes ayant vocation à aller dans l’espace depuis déjà un bon moment, mais au final ils ne sont guère qu’une poignée à y avoir véritablement séjourné, sur la lune.
Personnellement, s’il me fallait donc choisir une devise, je prendrais volontiers plutôt une formule du genre : « Quand on peut, on doit, et quand on doit, on fait ». C’est certes aussi un peu culpabilisant pour ceux qui ont les moyens de faire quelque chose et qui ont choisi de ne rien faire, que ce soit délibérément ou par fainéantise, mais c’est quand même beaucoup plus réaliste que « Quand on veut, on peut ».
Il est une autre phrase un peu dans la même veine qui en revanche n’est, elle, pas du tout culpabilisante mais qui semble, elle aussi, comme asséner une vérité incontestable, et pourtant je la conteste tout autant que la précédente. Elle a beau sembler intelligemment formulée et sonner juste, je n’y adhère pas. Il s’agit de cette phrase, certes très bien tournée, que l’on doit, je crois, à André Malraux : « La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie ».
D’abord, il est faux de dire que la vie ne vaut rien. La vie est précieuse. Elle n’existe peut-être que sur notre planète, même si moi je pense qu’elle doit exister aussi ailleurs dans l’univers, mais n’en n’ayant toujours pas la preuve, on est effectivement en droit de supposer qu’elle n’existe peut-être que sur Terre. En effet jusqu’à présent toutes les planètes visitées ou étudiées n’ont montré aucun signe qu’elles abritaient quelque forme de vie que ce soit, même si peut-être dit-on ce fut le cas jadis sur Mars. C’est donc dire à quel point la vie ne serait-ce que du plus petit insecte est précieuse.
D’autre part, affirmer que rien ne vaut la vie, me semble aller un peu vite en besogne. C’est une formule certes efficace et que tout le monde a envie à priori d’approuver, mais est-elle juste pour autant ? Il y a en effet des tas de gens sur Terre pour qui la vie est pénible, et je ne parle même pas de celles et de ceux qui souffrent d’une maladie qui les fait souffrir physiquement malgré tous les soins palliatifs qui leur sont administrés. Ceux qui sur Terre ont une belle vie ne sont pas si nombreux que ça, alors affirmer que rien ne vaut la vie, me semble largement exagéré. Moi par exemple, je trouve la vie très dure, et j’ai finalement l’impression de la subir plus que de l’apprécier vraiment, non pas bien sûr qu’il n’y a pas aussi des bons moments, mais dans l’ensemble ils sont quand même plutôt rares, surtout quand on n’a pas beaucoup de chance en général. Ma pulsion de vie, qu’on appelle Éros je crois, s’est à la longue très fortement émoussée. Elle n’a pas complètement disparu, mais il faut dire ce qui est, elle n’est plus ce qu’elle était. Et personnellement, j’en suis même venu à croire qu’en définitive, il n’y a guère que quand j’ai la chance de dormir (et encore sans rêver, car les rêves peuvent facilement se transformer en cauchemars), que tout compte fait je suis le mieux pour tout dire.
Alors le suicide bien sûr, j’y ai songé longtemps, en fait déjà depuis l’enfance (puisque déjà à cette époque je trouvais la vie trop dure, et d’ailleurs plus ça va et plus j’ai l’impression qu’elle l’est de plus en plus), mais ce n’était qu’une idée que j’avais dans le coin de ma tête, jusqu’à ce qu’une nuit, où sans doute j’en avais encore plus marre que d’habitude, j’ai décidé de passer à l’acte. Je me souviens très bien m’être dit : « Cette fois-ci tu ne vas pas te contenter de le penser ou le dire comme à chaque fois, mais tu vas le faire ». J’étais vraiment décidé à passer à l’action, mais à peine avais-je pris cette décision, que j’ai soudain été envahi par un sentiment d’une tristesse si profonde qu’on aurait dit que j’étais prisonnier de sables mouvants desquels je ne pouvais pas me sortir. Un sentiment de tristesse si oppressant que même l’angoisse aurait eu l’air d’être préférable à ça. Moi, je voulais en finir pour ne plus souffrir, et voilà que la mort semblait encore pire que la vie et sa dureté. Il y a eu un gros moment de flottement, car je ne savais plus quoi faire. D’un côté en effet en général quand je prends une décision j’ai tendance à m’y tenir, mais j’allais tout de même pas faire quelque chose qui me mettait dans un état dans lequel je me sentais encore plus mal que le mal que je souhaitais fuir. J’ai donc fini par renoncer à mon funeste projet, et depuis croyez-moi si vous voulez, le suicide je n’y pense plus du tout, ou presque. En effet certes, si j’ai un cancer ou une autre maladie du même acabit qui me fasse souffrir atrocement, ou si encore on me diagnostique une maladie d’Alzheimer ou quelque chose du même type (car hors de question pour moi d’offrir aux autres le spectacle de ma déchéance), je ne crois pas que j’hésiterai longtemps avant au moins de me renseigner sur les possibilités que j’aurais alors de mettre fin à cette souffrance, ou à cette perspective de déchéance, mais sinon franchement, même si mon Éros n’est plus ce qu’il était quand j’étais plus jeune et encore plein d’énergie, mon Thanatos, ma pulsion de mort, elle aussi n’est plus ce qu’elle était jusqu’à il n’y a pas encore si longtemps que ça. Et en fin de compte, je me sens maintenant plutôt serein par rapport à ces deux pulsions qui ne sont désormais plus aussi prégnantes qu’autrefois. C’est en effet finalement plutôt agréable d’être ainsi détaché au moins en partie, que ce soit de l’envie de vivre ou du désir de mourir. Oui en effet, plutôt agréable à vrai dire. C’est un peu comme un semblant de paix intérieure en quelque sorte.
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