Imaginons un malade de la grippe qui, avant de se coucher le soir, fait une prière dans le but de guérir au plus vite (si possible avant la fin de la durée normale de guérison), et qui, miracle, se réveille le lendemain matin complètement guéri alors que normalement il en avait encore pour plus ou moins dix jours. Là effectivement on pourrait à juste titre parler de petit miracle. Mais imaginons le même malade qui ferait toujours sa prière avant de se coucher, et qui le lendemain non seulement ne se réveillerait pas guéri du tout mais serait encore plus malade, voire qui au lieu de guérir en dix jours comme tout le monde mettrait vingt jours si ce n’est trente pour retrouver la santé, dans le cas bien sûr où il serait toujours en vie à la fin. Ne pourrait-on pas alors, si dans le premier cas on parle de miracle, parler dans ce deuxième cas d’anti-miracle, sachant bien sûr que dans la majorité des cas du même genre il n’y a généralement ni miracle ni anti-miracle, mais juste une maladie qui suit son cours et met une dizaine de jours à guérir ?
Sigismond, lui aussi, aurait aimé croire aux miracles et plus particulièrement à celui de l’amour. Depuis toujours il aimait Béatrice qui, elle, aimait Baptiste, lequel n’aimait personne à part lui-même. Pour séduire Béatrice, Sigismond fit tout ce qu’il put en vain, car Béatrice n’avait d’yeux que pour Baptiste qui de son côté n’avait d’yeux que pour lui-même, et qui en séducteur maladif enchaînait les conquêtes comme on collectionne des trophées, en épargnant toutefois Béatrice qui en rêvait pourtant, mais que, par amitié pour elle et pour préserver cette amitié, il ne voulait pas faire souffrir inutilement, et aussi parce que Sigismond dont il était également l’ami depuis l’enfance, tout comme il l’était avec Béatrice, lui avait demandé de ne pas la faire figurer dans son tableau de chasse, mais de bien vouloir la lui laisser, car il espérait encore, malgré toutes ces années à attendre, qu’elle finirait bien un jour enfin par vouloir de lui autrement que comme ami.
Il pensait qu’avec le temps, elle se lasserait de Baptiste et comprendrait que, ne pouvant rien attendre de concret de ce dernier, il lui faudrait devenir raisonnable et accepter enfin les avances qu’il n’avait cessé de lui faire depuis toutes ces années. Il savait qu’elle n’était pas amoureuse de lui, mais voulait croire qu’en mûrissant elle en viendrait à apprendre à l’aimer malgré tout, d’autant que lui de son côté ferait tout ce qu’il faut pour que cet amour devienne plus fort au fil des jours, des mois et des années. Il ne lui en aurait jamais voulu de ne pas l’avoir aimé dès le début, de lui avoir d’abord préféré Baptiste, pourvu qu’enfin elle accepte de devenir sa femme, une femme qu’il aurait aimée et choyée jusqu’à la fin de ses jours.
Que croyez-vous qu’il arriva ? Le miracle de l’amour se produisit-il au profit de Sigismond (et aussi dans l’intérêt de Béatrice), ou au contraire y eut-il anti-miracle, à savoir que Béatrice pour son plus grand malheur ait fini par obtenir de Baptiste que celui-ci cède enfin à ses avances, voire peut-être même l’épouse pour la forme et la trompe au fond comme évidemment, pensait-il, il convenait qu’un époux contraint le fasse avec une femme qui se serait imposée à lui ?
A mon avis, je ne serais pas étonné qu’il n’y ait eu ni miracle, ni anti-miracle, mais que les choses continuèrent comme elles avaient commencées et qu’à la fin Béatrice, Sigismond et Baptiste se marièrent … mais chacun de leur côté. Voilà !
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