Jean Cigale et Paul Fourmi se connaissaient depuis l’enfance. Ils étaient du même âge, avaient fréquenté la même école, le même collège, le même lycée et cela presque toujours dans les mêmes classes. Ils avaient passé et obtenu le bac ensemble, et avaient été tous deux embauchés dans la même entreprise pour ainsi dire au même poste. Ils s’appréciaient vraiment beaucoup mutuellement, bien qu’ils n’eussent pas du tout le même tempérament. Ainsi par exemple, alors que Jean était dépensier, Paul au contraire était particulièrement économe. Normalement, tout aurait pu continuer comme ça encore longtemps, si près de cinq ans après leur recrutement, l’entreprise dans laquelle ils travaillaient n’avait pas fait faillite, les obligeant à s’inscrire au chômage.
Après avoir épuisé leurs droits à indemnisation, n’ayant pas depuis retrouvé d’emploi, mais ayant par chance tous les deux déjà 25 ans, et pouvant donc prétendre au RSA, Revenu Social d’Activité qui avait remplacé le RMI, Revenu Minimum d’Insertion, ils déposèrent de concert un dossier à cette fin.
Si Jean n’eut aucun problème à obtenir le RSA, Paul en revanche qui avait eu le malheur de faire des économies, économies qu’il avait judicieusement placé pour les faire fructifier de sorte à ne pas être dépourvu quand arriverait l’heure de la retraite, avait vu au contraire sa demande rejetée. Car par malchance pour lui, il vivait dans l’un des rares départements français, la gestion du RSA étant de la compétence des départements et non de l’État, qui avaient décidé de conditionner l’attribution du RSA au fait de ne pas avoir de biens personnels, de propriété privée ou autre épargne financière, qui du point de vue des élus départementaux, rendaient ceux qui les possédaient inéligibles à ce revenu minimum. Pour Jean qui avait tout dépensé, pas de problème, il était tout à fait dans les clous pour en bénéficier, mais Paul qui cherchait déjà à se constituer un petit pécule pour ses vieux jours, on lui faisait comprendre qu’il devait d’abord utiliser ses économies avant de pouvoir demander le RSA.
Devant cette injustice, il se renseigna et apprit que tout cela était illégal, et qu’il pourrait malgré tout obtenir le RSA en faisant une action en justice, mais n’étant pas juriste il lui faudrait pour cela prendre un avocat et assumer les frais de justice afférents à cette procédure. En d’autres termes, il devrait puiser dans ses économies, voire même peut-être les épuiser, pour pouvoir obtenir gain de cause, alors que s’il dépensait d’abord ses économies, fut-ce pour faire un voyage, il aurait au moins pu en profiter pour prendre un peu de bon temps avant de redemander le cas échéant le RSA après avoir fait ce voyage, voyage qu’il n’aurait bien sûr pas pu se payer s’il avait dépensé ses économies en frais de justice.
La morale de cette histoire est que si Jean de La Fontaine devait réécrire sa fable en la transposant de nos jours, quelque chose me dit qu’il aurait peut-être bien été amené à en modifier la fin, qui aurait été du coup beaucoup moins morale.
Et ceci ne vaut hélas pas que pour le RSA. En effet, s’il avait voulu contester en justice les conditions de son licenciement, et voulu pour ce faire être assisté par un avocat, Paul Fourmi aurait, semble-t-il, dû faire face plus ou moins au même problème au sujet cette fois de l’attribution de l’Aide Juridictionnelle, et cela contrairement au RSA pas seulement dans certains départements, mais partout en France. Eh oui !
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