A 12 ans Hugo n’a jamais aimé la bagarre, mais sur le chemin de l’école une terreur du quartier d’à côté l’a provoqué en duel. Alors pour l’éviter il fait tout ce qu’il peut pour ne pas le croiser, car il sait qu’au nom de l’honneur il devra relever le défi sous peine de passer pour une mauviette. S’il était une fille, le problème ne se poserait pas : il aurait le droit d’être faible et de fuir. Mais c’est un garçon et les garçons, il le sait bien, n’ont pas le droit à la faiblesse. Il ne peut en parler à personne sans risquer les quolibets. Il a honte et se réfugie dans le silence. Devant ses camarades, il feint le courage, mais il est mort de trouille. Il voudrait pouvoir changer d’établissement tellement il a peur. Il aimerait pouvoir en parler à ses parents, mais comment réagiraient-ils ? S’ils allaient se plaindre au directeur du collège, il passerait pour un froussard et tout le monde se moquerait de lui. Et puis aux yeux de son père, il passerait pour un trouillard. Son père ne comprendrait sûrement pas que son fils se comporte comme une fillette. Il n’a pas le choix. Sa seule chance est d’éviter de rencontrer celui qui s’est promis de le ridiculiser en public, car il en est certain s’il refuse le combat il passera pour un lâche et s’il accepte de se battre, il perdra, recevra des coups et devra en supporter les conséquences. Peut-être aura-t-il le nez cassé ou quelques dents en moins : il sera défiguré pour la vie ! Vivement les vacances, qu’il puisse oublier tout ça et s’amuser comme un garçon de son âge en toute insouciance et ne plus être obligé, le temps qu’elles dureront, de prendre le chemin sur lequel il risque hélas de tomber sur cet individu malfaisant. Mais les vacances ne durent pas éternellement et à la prochaine rentrée tout recommencera. Il aurait aimé que ses parents déménagent tellement il craint ce moment. Pourquoi faut-il que cela lui arrive, à lui qui n’a pourtant rien fait pour le mériter. Si au moins, il avait frimé, il comprendrait qu’on puisse lui en vouloir, mais non là rien ne justifie qu’on s’en prenne à sa personne comme ça. Le soir il fait des prières pour ne pas avoir à subir cette épreuve et s’entraîne à donner des coups de pieds et de poings dans le vide, en sachant au fond de lui que le jour maudit où il devra affronter son ennemi il sera tellement terrifié que son corps entier sera paralysé. Il aurait aimé pouvoir faire ses devoirs sans avoir tout le temps en lui cette angoisse qui le ronge. Si au moins il avait un copain pour le défendre, mais il est désespérément seul. Personne ne viendra à son secours. Le monde est cruel et il le sait. Il n’y a pas d’autre échappatoire que la fuite, marque indélébile de la lâcheté. En effet, refuser de répondre à la provocation, de se battre, de se livrer à ce duel imposé par l’autre pour d’obscures raisons d’honneur, sera considéré, interprété comme de la lâcheté, alors qu’en y réfléchissant c’est au contraire en acceptant le duel qu’on se montre faible, puisqu’en l’acceptant on se soumet à la volonté de celui qui nous l’impose, on obéit à sa loi, on se soumet donc à lui qui de toute façon, même s’il venait à perdre le duel, aura gagné au moins cela, c’est-à-dire la satisfaction d’avoir poussé l’autre à faire ce qu’à priori il ne voulait pas. Mais Hugo du haut de ses 12 ans est loin d’en avoir conscience. Il ne veut pas être un lâche, mais il ne veut pas non plus avoir à se battre. Il se demande combien de temps, il réussira à éviter l’instant tant redouté où il devra affronter sa propre peur en même temps que celui qu’il déteste le plus au monde pour lui avoir ainsi pourri la vie. Il imagine déjà la scène : tout le monde viendra le regarder se faire humilier et après cela il devra se faire tout petit, marcher à l’ombre, longer les murs… Et plus aucune fille ne voudra de lui ! Combien de Hugo chaque jour se rendent à l’école, au collège ou au lycée avec la peur au ventre. Qui viendra à leur secours ? Personne bien sûr !
L'honneur
Alain G
Dernière mise à jour : 13 juin 2021
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