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Lancer de nain

Alain G

Dernière mise à jour : 7 mars 2022

Où se situent l’intolérance et l’hypocrisie ? Les personnes de petite taille se plaignent (à juste titre) de l’intolérance des personnes de taille normale à leur égard. Mais sont-elles, elles, plus tolérantes pour autant ? C’était en France, il n’y a pas si longtemps. Jean-Luc ou peut-être Marc, je ne sais plus, propriétaire d’une boîte de nuit à la mode, eut l’idée d’organiser chaque soir un divertissement peut-être douteux mais qui lui semblait avoir une certaine originalité susceptible de plaire à sa clientèle habituelle et de nature à en attirer une nouvelle : le lancer de nain. Il s’agissait de lancer contre un mur tapissé de mousse et de velcro une personne masculine de petite taille elle-même revêtue de scratch de sorte à la fixer ou plutôt scotcher au mur à l’issue du lancer. Je ne saurais dire si c’est par curiosité malsaine ou juste pour rire, que ce spectacle eut beaucoup de succès, car il plut en effet beaucoup aux gens qui vinrent en nombre chaque soir pour y assister. De fait, Vincent (à moins que ça ne soit Francis ou Jacques ou qu'importe), la personne de petite taille que Jean-Luc avait engagé pour assurer ce spectacle acquit très rapidement une certaine notoriété dont il s’accommodait très bien. De là à dire qu’il en était fier, il y a peut-être une certaine marge quand même, mais enfin cela ne semblait pas trop lui déplaire d’autant que cela faisait des lustres qu’il était au chômage sans véritable vie sociale pour égayer ses journées. Mais rançon de la gloire, ce spectacle n’attira pas seulement de nouveaux clients mais aussi de nombreuses plaintes et critiques. Très vite, les associations de lutte contre les discriminations faites aux personnes de petite taille et les associations de défense des droits de l’Homme en général se mobilisèrent pour mettre un terme à ce qu’ils qualifièrent à tort ou à raison d’outrage. Cette affaire finit par faire grand bruit d’autant que d’autres patrons d’établissements du même genre, intéressés par le succès rencontré par ce spectacle en organisèrent également chez eux. Les médias s’en mêlèrent aussi de sorte que la publicité qui en résulta fut fatale à Jean-Luc qui dut fermer son établissement, mettant du coup à nouveau Vincent au chômage. Vincent eut beau protester, il n’y eut rien à faire, il dut retourner chez lui pour y tourner en rond comme autrefois. C’est ainsi, peut-être par susceptibilité, peut-être par conditionnement, peut-être à cause du politiquement correct, mais aussi parce que c’était sûrement choquant, qu’en protestant contre ce « divertissement », les personnes de petites tailles en général ont mis, sans scrupule, regret ni remord, et surtout, hypocrisie ordinaire oblige, sans rien lui proposer à la place, au chômage un des leurs, un « nain »  (terme qu’avec l’avènement du politiquement correct il convient désormais de proscrire ou d’utiliser avec précaution, de mettre en tout cas entre guillemets, et que ce soit à tort ou à raison est une autre question) qui depuis y est toujours. On lui reprocha d’avoir accepté ce travail, lui qui n’en a trouvé aucun autre ; d’avoir manquer d’estime de lui-même ; de s’être déshonoré et d’avoir du même coup déshonoré toutes les personnes de petite taille, qui après l’avoir jugé et condamné au chômage ne se sont à aucun moment reproché de lui avoir retiré le seul moyen qu’il avait trouvé pour vivre décemment. Il n’y aurait eu rien à redire si grâce à l’action de ceux qui l’avaient privé de travail Vincent en avait trouvé un autre tout aussi rémunérateur. Mais ce n’est pas ce qui se passa. Et ce n’est pas à n’en pas douter ce qui se passerait si un jour la prostitution était abolie dans notre pays : on leur interdirait d’exercer leur métier, sans jamais leur proposer un emploi de substitution rémunéré au même niveau. Au chômage, on leur dirait d’aller travailler à ces fainéantes, sans pour autant leur dire où se trouve ce travail qu’elles devraient accepter. Car bien sûr, c’est bien connu, ce sont les chômeurs qui créent le chômage, et jamais, ô grand jamais les braves gens qui les mettent au chômage. De meilleures âmes encore leur diraient d’aller faire des ménages, comme si être femme de ménage valait quand même mieux que prostituée, ce qui serait sans doute le cas si femme de ménage payait aussi bien que prostituée, voire mieux. Résultat : depuis longtemps déjà, une grave pénurie de prostituées sévirait dans le monde, tous les jeunes, et pas seulement les filles, rêvant alors de faire carrière comme personnel d’entretien. Ah, hypocrisie, quand tu nous tiens ! On a beau savoir que l’hypocrisie est après tout un hommage que rend le vice à la vertu, ou que hypocrisie vient de « hypocrisis », c’est-à-dire ce qui fait baisser la crise si je ne m’abuse, il faut quand même pas charrier.

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