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Train fantôme

Alain G

Dernière mise à jour : 24 juin 2021



Pour faire un train, il faut au moins une locomotive et au minimum un wagon, et de préférence plusieurs. Plus il y aura de wagons et plus le train sera grand ou long. En revanche, une locomotive non reliée à un ou plusieurs wagons ni un grand nombre de wagons de marchandises ou de voyageurs non raccrochés à une locomotive ne formeront jamais un train. Ça pourrait être une métaphore de ce qu’est une communauté unie par un minimum de solidarité, qu’on l’appelle nation, société, peuple ou autrement.

Nous vivons une époque où les locomotives ont pris la grosse tête et font la leçon aux wagons en leur disant en gros : nous en avons marre de vous tracter ; si vous voulez vous déplacer, vous n’avez qu’à le faire vous-mêmes, devenez des locomotives ! Ils partent du principe qu’être wagon est un sous statut, que les wagons ne viendront jamais à la cheville des locomotives, car par principe il y a beaucoup moins de locomotives qu’il n’y a de wagons, et pour cause s’il n’y avait que des locomotives accrochées les unes aux autres, il n’y aurait jamais un train ou alors un train de locomotives mais qui ne transporterait rien, ni voyageurs, ni marchandises, rien, juste des locomotives reliées ensembles qui se déplaceraient sur les rails juste pour se déplacer, ce qui de mon point de vue ne formerait jamais un train, car pour que ce soit le cas, il faut au moins que le train ait un but, une utilité. Au contraire même, s’il y avait deux locomotives reliées ensemble, chaque locomotive pourrait essayer de tirer de son côté et le train, si on peut alors parler de train, ferait du surplace. D’autre part, si le but du train n’était que de rouler sur les rails, je ne vois guère l’intérêt d’une telle invention à part peut-être pour qui pourrait être assez riche pour se payer ce genre d’amusement. Les wagons, en revanche qui sont légion, semblent comme assommés par ce discours, comme submergés par un inconscient complexe d’infériorité dû à leur supériorité numérique. Ils se disent en effet que sans les locomotives, pourtant en infériorité numérique, ils ne pourraient aller nulle part, en oubliant un peu vite que sans eux les locomotives pourraient, elles, certes se déplacer autant qu’elles le voudraient mais le feraient sans but, sans utilité, bref en vain. Ils savent très bien qu’ils sont incapables de se transformer en locomotives, certains ayant bien sûr essayé sans succès, car on ne s’improvise pas locomotive pas plus qu’une locomotive qui le souhaiterait ne sera jamais capable de se reconvertir en wagon.

C’est une donnée de la nature, certains ont été conçus pour devenir locomotives et d’autres pour être wagons, de même que certains sont doués intellectuellement quand d’autres excellent manuellement, le niveau d’études ou de formation servant idéalement à conforter une prédisposition et non à la contrarier, une vocation de PDG pouvant tout à fait naître sans qu’on ait fait pour cela la moindre école, des individus bardés de diplômes en ayant fréquenté plusieurs pouvant en revanche très bien ne pas avoir cette inclinaison. Et ce serait vouloir lui faire un mauvais procès que d’attribuer à la nature l’intention de privilégier les métiers intellectuels par rapport aux métiers manuels, ou de lui faire dire qu’être wagon est moins bien qu’être locomotive, de même que dans une société de fourmis ou de termites, la nature ne fait pas de hiérarchie entre ceux qui construisent (ou travaillent selon notre conception du travail, synonyme de labeur) et ceux qui par exemple, les soldats, ont le rôle de défendre, pas plus que la nature ne distingue hiérarchiquement parlant entre une reine pourtant unique et les ouvrières pourtant multiples dans une société d’abeilles. En effet, ils appartiennent tous à la même collectivité ou entité, mais ont chacun un rôle différent ou une utilité distincte. Ils sont unis par quelque chose qu’on pourrait appeler solidarité. Sans cette solidarité, ils ne formeraient pas une colonie ou une société, ils ne seraient que des individus d’une même espèce vivant chacun de leur côté. Être wagon n’est pas être un fardeau au motif que le wagon est incapable, sans locomotive, de se mouvoir par ses propres moyens, pas plus qu’être locomotive n’est un avantage. Une locomotive certes peut se déplacer seule, mais elle est bien incapable de transporter quoi que ce soit. Un wagon en revanche est certes capable de transporter marchandises ou voyageurs, mais sans locomotive n’ira nulle part. C’est parce qu’ils s’unissent qu’ils peuvent ensemble former un train.

Si on poussait au maximum la logique de ce qu’on pourrait qualifier de mentalité propre à notre époque et que d’aucuns peuvent qualifier d’individualisme exacerbé, il semble bien que du train il n‘y aurait plus aujourd'hui que le fantôme de la solidarité indispensable à l’existence même de ce train. De la même manière quand on s’en prend à l’assistanat, n’est-ce pas à la solidarité qu’on s’en prend en réalité ? Car finalement d’être des assistés, n’est-ce pas cela que les locomotives reprochent en fait aujourd’hui aux wagons ? Et évidemment quand je parle de solidarité, il ne saurait être question ici de la solidarité de classe ou de caste que les locomotives pourraient avoir entre elles ou les wagons entre eux, cela va sans dire, même si ça va mieux, quand même, en le disant.


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