Fleur était dans sa cuisine quand soudain elle entendit dans sa tête résonner ces mots, prononcés par une voix masculine semblant provenir d’en haut : « On me dit que je suis trop dur avec toi, mais tu sais pourquoi ». Du tac au tac, Fleur répondit alors intérieurement à cette voix qu’elle attribua spontanément à Dieu ou une divinité ayant autorité sur le genre humain : « Qu’est-ce que j’ai fait ? ». Et tout en posant cette question, elle eut l’étrange impression de penser au préalable la réponse que lui fit cette voix en retour. Après coup, il lui sembla donc qu’elle lui avait mentalement soufflé cette réponse que cette voix s’était, en définitive, juste contentée de lui restituer mot à mot, à savoir : « Ce n’est pas ce que tu as fait, mais ce que tu es ».
Et puis la communication, s’il est possible d’appeler cela une communication, s’arrêta là, laissant Fleur dans l’expectative et bien sûr le plus grand des étonnements.
Elle était éveillée et n’eut donc pas le sentiment d’avoir rêvé. C’était la première fois de sa vie qu’elle entendait une voix dans sa tête, au demeurant aussi distinctement, prononcer au surplus des mots aussi bizarres, dans le sens où certes elle trouvait depuis longtemps que la vie était bien dure avec elle, mais sans jamais imaginer une seule seconde qu’une voix aussi claire et limpide que celle qu’elle entendit, ne viendrait dans sa tête un jour lui en donner une explication, qui s’est avérée lui poser finalement encore plus de questions qu’elle n’en avait auparavant.
Cela avait-il été la voix de Dieu, du diable auquel elle ne croyait pourtant guère autrement qu’en un éventuel auxiliaire de Dieu chargé de gérer ce genre dit humain qui ne l’était que si peu en fin de compte, pensait-elle, ou était-ce la voix d’un démon peut-être intérieur s’amusant à la tourmenter, ou alors une voix venant de son inconscient, voire de son imagination qui lui jouait là un quelconque mauvais tour, à moins qu’il ne s’agissait que d’un accès de schizophrénie tardive, bien qu’elle n’eut jamais été diagnostiquée comme telle ?
Commença donc à partir de cet instant pour elle un questionnement sans fin dont elle n’osa jamais parler à personne et qui est bien sûr toujours en cours.
Cette voix lui affirmait qu’elle savait pourquoi la vie (à laquelle cette voix s’identifiait donc apparemment) était si dure avec elle, alors que justement elle l’ignorait, raison pour laquelle elle demanda d’ailleurs ce qu’elle avait bien pu faire pour le mériter, question qu’après coup elle finit au demeurant par regretter un peu. En effet, en y réfléchissant par la suite, elle estima qu’au lieu de poser cette question-là, elle aurait mieux fait de répondre que non elle ne savait pas pourquoi, mais qu’elle aurait bien aimé le savoir.
Toujours est-il qu’elle en déduisit que cela ne pouvait par conséquent pas être la voix de Dieu, car Dieu étant omniscient il n’aurait pas pu ignorer que non elle ne savait pas pourquoi la vie avait toujours, ou souvent, été si dure avec elle. Peut-être avait-ce alors été celle du diable, ou d’un quelconque démon chargé de la tourmenter ? Mais cela n’aurait eu de sens que si le diable avait été cette intelligence et cette volonté s’opposant à Dieu, le mauvais Dieu donc par opposition à Dieu qui serait par conséquent comme on l’appelle d’ailleurs souvent en général le Bon Dieu, ce qui logiquement ferait qu’en conséquence il y aurait au moins deux Dieux, un bon et un mauvais, et non pas un seul. Mais à cette éventualité-là, elle ne pouvait pas adhérer. Pour elle en effet si le diable existait, il ne pouvait être en quelque sorte que le bras droit de Dieu sur Terre auquel Dieu aurait confié le soin de gérer l’Homme, qu’elle n’a jamais trouvé si bon pour mériter de pouvoir être administré par un dieu plus compatissant que le diable. Donc que ce soit Dieu lui-même, ou le diable par délégation, cela revenait en fait plus ou moins au même. En effet à moins de ne pas être omniscient, ni Dieu ni le diable (enfin pour le diable je ne peux que supposer) n’auraient pu ignorer ce que cette voix semblait ne pas savoir, ou dont elle ne semblait pas être sûre. Car si Dieu (et le diable donc en principe par délégation) n’était pas omniscient, et tout puissant, il ne saurait évidemment être Dieu selon elle, mais peut-être juste un dieu parmi une multitude d’autre dieux, et pourquoi pas de déesses aussi.
Était-ce alors de la schizophrénie ? Peut-être, mais n’étant pas psychiatre elle ne savait pas au juste ce qu’était la schizophrénie, ni si elle pouvait advenir aussi tardivement dans l’existence, car Fleur, sans être complètement fanée, n’était en effet plus si jeune que ça.
Et si c’était la voix de la culpabilité logée au creux de l’inconscient ? Car pour le moins, elle s’était montrée très culpabilisante. Elle a prétendu en effet que Fleur était censée savoir pourquoi l’autorité que cette voix représentait était aussi dure avec elle, autrement dit que c’était de sa faute si on a toujours été aussi dur avec elle, et que normalement elle aurait dû en connaître la raison. Par ailleurs, la réponse que cette voix lui avait faite, quand elle lui demanda ce qu’elle avait bien pu faire pour le mériter, ne l’avait pas convaincue : « Ce n’est pas ce que tu as fait, mais ce que tu es ». Sur le coup, certes, fut-elle impressionnée, mais après coup le doute prit vite le dessus parce que, d’une part elle avait en effet eu la nette sensation de l’avoir au préalable pensé, mais d’autre part après réflexion, cette réponse ne voulait en fait rien dire, puisqu’à ses yeux on n’était toujours en réalité que ce que l’on faisait. Dire en effet à quelqu’un qui n’a jamais volé que c’est un voleur est un non sens ou éventuellement un mensonge, mais certainement pas une réponse que l’on peut entendre à tête reposée quand on y réfléchit un peu. Car, on ne peut être par exemple un voleur que si on a volé. Reprocher à quelqu’un d’être ceci ou cela alors qu’il ou elle n’a rien fait pour le mériter s’apparente en conséquence à un procès d’intention. De plus quand on fait un reproche, on ne le fait pas par sous-entendu, mais on l’exprime explicitement. Il aurait donc au moins fallu que cette voix ne lui précise ce que Fleur pouvait donc bien être de si mauvais pour mériter le traitement qu’on lui a fait subir depuis tout ce temps. Mais cela la voix, si elle était bien celle de la culpabilisation qu’on porte probablement plus ou moins tous en nous, ne le savait sans doute pas, sa mission n’étant pas d’expliquer mais juste de culpabiliser.
Quoi qu’il en soit, cette voix n’avait rien de charitable, car à ce jour Fleur cherche toujours une explication à ce phénomène, sur lequel personne jamais ne lui apportera le moindre éclairage, car cela impliquerait qu’elle finisse par en parler autour d’elle, au risque d’être prise peut-être pour une folle. Et c’est donc bien entendu quelque chose qu’elle ne fera jamais.
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