Point de racisme dans cette petite histoire sans prétention, comme le titre pourrait à tort peut-être y faire penser en raison de l’utilisation de ce slogan par beaucoup de militants contre le racisme aux USA, mais juste une modeste mise en scène avec pour toile de fond la vieille thématique du pardon et de la réparation.
A 20 ans, John n’avait pas le pardon facile. Comme il se plaisait à le dire, il n’était pas rancunier, mais hyper rancunier, ce qui n’a rien à voir. En fait, c’était plus fort que lui, il n’arrivait pas oublier le mal qu’on lui faisait, et le pire dans tout ça, c’est qu’il ne trouvait pas que c’était vraiment un défaut dans la mesure où il n’était pas non plus ingrat, c’est-à-dire qu’il se souvenait aussi parfaitement du bien qu’on lui faisait, sauf que hélas, il ne différait sans doute pas en cela de la plupart des gens, à savoir qu’il se rappelait davantage des trains qui arrivent en retard que des trains qui arrivent à l’heure. Bien sûr, cette prédisposition ne s’appliquait qu’aux maux importants qu’on lui avait causé volontairement, car sinon évidemment quand c’était par accident, il n’en était pas au point d’en nourrir alors de la rancune. Mais quand c’était intentionnel et que cela l’avait blessé, il ne pardonnait pas … non jamais sauf sans doute s’il estimait que l’auteur avait fini par le regretter, par l’assumer et surtout trouver le moyen de réparer ce qu’il avait fait à la hauteur qui convenait pour faire disparaître son ressentiment. Sûrement avait-il dû au moins une fois faire semblant de pardonner quand il y avait intérêt, pour mettre fin par exemple à une querelle qui le desservait, mais au fond ce n’était pas vrai, car tant qu’il avait en lui ce ressentiment que seule une juste réparation aurait réussi à lui ôter, le pardon n’était qu’apparent. Au fond de lui en réalité, il n’avait pas du tout pardonné. C’était juste pour faire illusion, pour jouer le jeu hypocrite de la vie en société qui parfois oblige à avaler des couleuvres et faire comme si on en n’avait pas été affecté plus que ça, voire pas du tout.
Et s’il y avait bien quelqu’un à qui il n’avait pas du tout l’intention de pardonner, c’était bien Harry qui avait commis le crime de tuer son chien. Certes, il aurait pu aller se plaindre au shérif, mais Harry aurait nié d’autant plus facilement qu’il n’avait aucune preuve à sa disposition, aucun témoin, juste sa bonne foi qui n’aurait pas pesé lourd devant les dénégations d’Harry dont la famille au surplus était amie avec la famille du shérif. Il en avait donc été conduit à en faire son deuil, car il se doutait bien que ce qui pour lui était bel et bien un crime ne serait jamais puni et que donc jamais il ne pardonnerait. Mais cela ne voulait pas dire qu’il allait pour autant chercher à se venger, à perdre son temps à imaginer un moyen pour faire payer comme il le mériterait l’auteur de ce crime impardonnable. Si cela avait été possible, que la vengeance s’était offerte à lui, il n’aurait certainement pas hésité à la saisir, mais comme cela ne l’était visiblement pas, ou alors aurait été vraiment très difficile, que cela aurait demandé tellement d’énergie, d’efforts pour un résultat finalement au mieux qu’hypothétique, il avait été bien obligé d’avaler la couleuvre en sachant pertinemment que jamais il ne la digérerait, et pour ça pas de problème, il avait l’estomac solide.
A 60 ans, John avait le pardon tout aussi difficile qu’à 20 ans. Harry, à 60 ans, en revanche aurait bien aimé se faire pardonner. Il demanda à un ami qu’ils avaient en commun, James, de bien vouloir interférer en sa faveur auprès de John pour que celui-ci accepte de lui parler, et à la surprise d’Harry et de James, John, poussé par la curiosité de savoir ce qu’Harry allait bien pouvoir trouver à lui dire, y consentit. Ils convinrent alors d’un rendez-vous chez Harry peu de temps après.
Quand John arriva chez Harry, celui-ci l’ayant prié de s’asseoir, le chien de Harry vint s’allonger aux pieds de John pour ne plus en bouger jusqu’à la fin de leur rencontre, et voici ce qu’ils se sont dits.
Harry : Honnêtement, je suis vraiment étonné, même si bien sûr je l’espérais, que tu aies finalement accepté de venir, et très sincèrement je t’en remercie.
John : Ne te précipite pas ainsi à me remercier, car peut-être qu’à la fin tu vas le regretter.
Harry : Tu crois ?
John : Comment le saurais-je puisque je ne sais pas ce que tu comptes me dire ?
Harry : Tu te doutes quand même bien de la raison qui m’a poussé à te demander de venir.
John : J’en ai une petite idée certes, mais je ne sais pas exactement ce que tu envisages ni comment éventuellement tu l’envisages. Alors je t’écoute.
Harry : Tu ne crois pas que notre différend a assez duré et qu’il serait temps d’enterrer la hache de guerre ? Faisons la paix !
John : Il ne saurait y avoir de paix possible sans justice. Or en n’assumant pas ton acte, tu t’es soustrait de toi-même à la justice des hommes. Tu t’es donc soumis de ce fait à la seule justice qui puisse encore être rendue, à part celle de Dieu bien sûr, c’est-à-dire la mienne. Il n’y a en effet plus que moi qui puisse encore te pardonner aujourd’hui, car mon chien, celui que tu as tué, lui, comme tu le sais, est mort depuis longtemps et n’est plus en mesure d’en faire autant si toutefois il en avait été capable. Mais après tout peut-être que ce n’est pas mon pardon que tu cherches. Que veux-tu au juste ?
Harry : Je voudrais te présenter mes excuses.
John : Alors vas-y, quelles sont tes excuses ?
Harry : J’étais jaloux. Tu étais sorti avec Mary qui m’avait rejeté, et en plus tu avais de bien meilleurs résultats scolaires sans trop donner l’impression de travailler plus qu’il n’en fallait, alors que moi, malgré tous mes efforts, je n’avais que des résultats moyens dans le meilleur des cas. Je t’en voulais de mieux réussir que moi, car tout semblait vraiment te réussir, alors que moi je peinais pour finalement n’y arriver au mieux que de justesse.
John : Ceci n’est pas une excuse, mais au mieux une explication. La jalousie ne saurait en effet être une excuse. Au contraire même, je dirais que ce serait plutôt une circonstance aggravante et non pas du tout atténuante. La jalousie est quelque chose que l’on doit combattre, et toi tu veux te faire excuser en l’invoquant comme prétexte. Tu voudrais t’exonérer de ta responsabilité en m’opposant ton vice, la jalousie. Ça ne marche pas comme ça, en tout cas pas avec moi. Il ne fallait pas être jaloux, un point c’est tout. Et d’abord, comment pouvais-tu être sûr que je ne faisais que le strict minimum au cours de ma scolarité pour obtenir les résultats que tu me reprocherais presque d’avoir obtenu, et qu’y pouvais-je si Mary ne voulait pas de toi ? Tu as tué mon chien et j’y tenais beaucoup. J’en ai beaucoup souffert, et tu n’es pas en mesure de me rendre ce chien dont tu m’as privé à tout jamais.
Ta jalousie ne saurait justifier ton acte. Bien au contraire, elle ne t’en rend que plus coupable encore. Tu voudrais à travers cet argument diminuer ta culpabilité alors qu’elle s’en trouve accrue. Par ailleurs, c’est en outre très fallacieux, car par ce biais tu cherches en fait plus ou moins à me rendre responsable de ton acte. En effet, tu me dis en gros que c’est à cause de moi si tu étais jaloux. Donc en quelque sorte, ce serait de ma faute. Tu me reproches finalement de t’avoir rendu jaloux en réussissant mieux que toi. Il aurait donc fallu, si je suis ton raisonnement que je réussisse moins bien pour ne pas te rendre jaloux, un comble. En fait, tu me donnes l’impression d’avoir un peu la même mentalité que ces violeurs qui reprochent à leurs victimes de les avoir provoqué en mettant une jupe par exemple. Ils seraient en somme les victimes et leurs victimes seraient en fait les vraies coupables. Elles n’avaient qu’à ne pas mettre de jupe et seraient donc fautives. Ils s’attribueraient ainsi ce faisant le droit de les priver de porter une jupe sous prétexte que cela les pousserait au viol. Une inversion de culpabilité pure et simple en somme. C’est tout bonnement diabolique.
Harry : Tu refuses donc mes excuses si je comprends bien ? Tu n’as vraiment pas envie de faire la paix alors ?
John : Mais tu n’as pas d’excuse. Alors comment pourrais-je t’excuser ? Ce que tu veux, c’est en fait que je te pardonne. Mais tu es très mal tombé, car je n’ai pas du tout le pardon facile.
Harry : Tu ne crois pas que tu serais plus en paix avec toi-même si justement tu me pardonnais au lieu de ruminer toujours et encore ta rancœur à mon égard ?
John : Bien entendu, c’est pour mon bien qu’il faudrait que je te pardonne et pas du tout pour le tien. Comme c’est pratique, et surtout tellement pas du tout hypocrite, hein ? Si ce n’était pas si tragique, j’en rirais.
Harry : Alors tu veux quoi ?
John : Mais moi je ne veux rien, c’est toi qui veux quelque chose de moi : mon pardon ! Et ce n’est sûrement en invoquant ta jalousie que tu l’obtiendras. Au contraire même tu aggraves ton cas.
Harry : Que pourrais-je faire alors pour l’obtenir ?
John : Réparer !
Harry : Réparer comment ?
John : A toi de savoir. Tu as su tuer mon chien, à toi donc de savoir comment réparer, si toutefois tu trouves que c’est réparable. Moi je n’en suis pas si sûr.
Harry : Tu veux de l’argent en dédommagement peut-être ?
John : Si j’avais des problèmes financiers, peut-être que j’aurais accepté ta proposition pécuniaire, mais pas de chance pour toi, je n’ai aucun problème d’argent. Il te faudra trouver autre chose si tu veux te faire pardonner.
Harry : Sauf que je ne vois pas ce que je pourrais te proposer d’autre à part de l’argent.
John : Réfléchis un peu et tu trouveras peut-être.
Harry : Et si tu m’aidais à trouver ?
John : Parce qu’en plus, il faudrait que je t’aide à te faire pardonner. Tu n’as pas l’impression d’abuser par-dessus le marché ?
Harry : Je cherche juste à savoir ce que tu as en tête, car il me semble que tu as une idée de ce que je pourrais faire pour que tu me pardonnes, mais que tu rechignes à me l’exposer. Vas-y dis moi ce que tu voudrais que je te propose. Je suis prêt à tout entendre.
John : Même si j’avais une idée de ce que ça pourrait être comme tu le dis, j’aurais peut-être aimé que cela vienne de toi et non de moi.
Harry : Oui mais moi là je sèche. Alors aide-moi, je ne te le demande pas, je t’en prie.
John : Admettons que j’ai une idée de ce qui pourrait m’enlever ce ressentiment que j’ai en moi à ton égard, es-tu vraiment sûr de vouloir entendre ce que ça pourrait être, car sans vraiment être adepte de la loi du talion, je ne suis pas non plus du genre à tendre l’autre joue. Ce que je risque de te dire pourrait bien te faire très mal, et à vrai dire je suis même quasiment certain que tu refuserais.
Harry : Non vas-y, je t’en supplie.
John : D’abord, il faut que tu sois bien conscient que si je te pardonne, cela ne voudra pas dire qu’on va devenir amis. Il ne faut pas rêver. L’amitié est un sentiment qui se construit et qu’on ne décide pas comme ça d’un claquement de doigts. Le pardon vient juste effacer le ressentiment intérieur que l’on nourrit envers celui qui nous a fait du tort. En tout cas, c’est comme ça que je le vois. C’est le sentiment d’une juste réparation qui apaise celui qui a souffert de ce qu’on lui a fait, quand cette réparation est possible. Et il se trouve que tu as de la chance car ton chien m’as donné en effet une idée de réparation, mais une idée qui risque de te faire aussi mal que ce que j’ai souffert quand tu as tué mon chien il y a plus de quarante ans maintenant.
Harry : Et c’est quoi ?
John : Comme tu le vois, ton chien semble m’apprécier et moi aussi je l’aime bien. Il se trouve en outre que j’ai perdu le mien, il y a quelques semaines. Je ne parle évidemment pas de celui que tu m’as tué quand j’étais jeune. Alors je te laisse le choix, car en plus je te donne la possibilité de choisir. Je te propose soit d’aller raconter ce que tu as fait au shérif, mais comme les faits seront sûrement prescrits, tu devras en plus t’arranger pour que tout le monde autour de nous le sache. Mais je suis certain que tu refuseras. D’où l’autre partie de ma proposition et que tu risques de refuser tout autant : tu me cèdes ton chien ! Ce ne sera plus le tien mais le mien et tu ne le reverras plus jamais, sauf si bien sûr j’en décidais autrement. Et en plus avec moi, tu peux au moins être assuré qu’il sera bien traité. Voilà mon offre de pardon si je puis dire.
Harry : Alors là, je ne pensais pas que tu serais si dur.
John : Tu l’as bien été avec moi en tuant mon chien.
Harry : J’étais jeune quand même. La jeunesse peut être une excuse, tu ne crois pas. On parle d’erreur de jeunesse, pas d’erreur de vieillesse. La vieillesse s’accompagne généralement de sagesse et tend donc à priori vers la paix. Toi, tout comme moi, tu n’es plus si jeune et pourtant tu as l’air d’être encore plus dur, puisque tu refuses en fait la paix.
John : Il ne fallait pas tuer le chien d’un rancunier. Tu aurais dû mieux choisir ta victime. Et puis ça serait vraiment trop facile si on pardonnait sans qu’il y ait au moins réparation. Il ne saurait y avoir de paix véritable sans justice, laquelle implique généralement punition et réparation. D’autre part, c’est de ta faute, il fallait assumer et accepter la sanction que le tribunal t’aurait infligé si tu ne t’étais pas soustrait à son jugement. Si tu étais passé devant un juge qui aurait prononcé une juste sentence, l’affaire serait déjà réglée, et on en parlerait plus. Moi je veux que la vérité soit au moins rétablie et qu’en outre, il y ait réparation pour enfin trouver la paix en moi, et que donc justice soit faite.
Harry : Oui mais si l’affaire était passée au tribunal, ma vie aurait été sans doute très différente, j’aurais un casier judiciaire et n’aurais probablement pas eu le même parcours. Et puis franchement avec toi, c’est tout de même œil pour œil, dent pour dent et chien pour chien.
John : Non, pas tout à fait, puisque si par exemple, tu m’avais sciemment blessé physiquement et que j’en garde une cicatrice sur le corps ou le visage, je ne dis pas que je n’aurais pas eu envie, en réparation, que tu te fasses la même cicatrice au même endroit, ou que quelqu’un te la fasse bien sûr, mais pas moi, parce que personnellement j’aurais bien été incapable de te la faire moi-même, mais tout de même si en guise de réparation tu avais choisi d’avoir la même cicatrice que moi plutôt que par exemple d’aller en prison, il aurait fallu te la faire sans anesthésie évidemment, car j’imagine que moi, tu ne m’aurais pas anesthésié non plus pour me la faire. En revanche, si tu ne l’avais pas fait exprès, je n’aurais jamais exigé une chose pareille, or la loi du talion ne fait pas, il me semble, de distinction entre la dent perdue ou l’œil perdu volontairement et la dent perdue ou l’œil perdu non intentionnellement, et ce n’est pas rien comme différence. Et pour ce qui est de ton chien, avec la loi du talion, j’aurais dû demander sa mort pour réparer celle du mien, mais ce n’est pas le cas, car je n’en aurais jamais été capable, ni de le tuer moi-même, ni de te demander de le faire à ma place. Mais il est vrai que je veux que tu souffres autant que j’ai souffert, que tu payes d’une manière ou d’une autre, bref que tu apprennes à tes dépens ce qu’il en coûte de faire ce que tu m’as fait. Alors tu choisis quoi en fin de compte?
Harry : J’ai besoin de réfléchir.
John : Est-ce que tu m’as donné le temps de réfléchir avant de tuer mon chien ?
Harry : Il faut que je me décide tout de suite alors ?
John : Procédons par élimination. Serais-tu prêt à aller te dénoncer à la police et à faire savoir autour de toi ce que tu as fait ? Je suis sûr que non. Alors maintenant que l’on s’est tout dit, je vais partir et si ton chien me suit et entre de lui-même dans ma voiture, on fait comme j’ai dit. Mais s’il reste avec toi, alors je te laisse y réfléchir et te donne tout le temps que tu veux pour cela. On est d’accord ?
A votre avis que décida Harry ?
Mais quelle que puisse être la décision prise par Harry dans cette histoire, s’il fallait en tirer une leçon, à mon avis ce serait qu’en fin de compte n’est vraiment pardonnable que ce qui est réparable. Aussi il me semble que toute personne, qui souhaiterait obtenir le pardon pour ce qu’elle a fait, devrait commencer par se demander si ce qui a été fait peut vraiment être réparé, et si oui, avant d’aller solliciter ce pardon, devrait réfléchir sincèrement à la meilleure manière de concrétiser cette réparation, de sorte qu’elle apparaisse honnêtement acceptable aux yeux de celle ou celui par qui on désire être pardonné, vous ne croyez pas ?
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