Dans la voiture, nous étions quatre, Sylvie, Sophie, Denis et moi, à écouter le CD de Henri TACHAN que j’avais un peu mis par goût de la provoc. Je savais qu’il susciterait des réactions et surtout le morceau qui était en train de passer, dont voici les paroles :
Je ne veux pas d’enfant,
Pas de fruit à mon arbre,
A mon chêne pas de gland,
A mes joues pas de barbe,
Je ne veux pas d’enfant
Pour consoler ma mort,
Pas de petit mutant,
Pas de petit Médor !
Je ne veux pas d’enfant
Qui « sèche » au tableau noir,
A la guerre de Cent Ans,
Au fond d’un réfectoire,
Pas d’enfant aux curés,
Aux gradés, aux grognasses,
Pas d’enfant au piquet
Ou premier de la classe !
Je ne veux pas d’enfant
Qui pleure ou qui babille
Et dont on sera fier quand
Il fera souffrir les filles,
Je ne veux pas d’enfant
Pour réussir mes rêves,
Les rêves des parents
Qui s’étiolent et qui crèvent !
Je ne veux pas d’enfant
Qu’on s’épingle en médaille,
Qu’on arbore, clinquant,
Bien avant la bataille,
Je ne veux pas d’enfant
Pour la paix des ménages,
Petit témoin tremblant
Des couples en naufrage !
Je ne veux pas d’enfant,
Je ne suis pas « normal »,
J’ai déserté les rangs
Du troupeau génital,
C’est comme si j’étais nègre,
Gauchiste ou non-violent,
Enfin de cette pègre
Qui fait peur aux parents !
Je ne veux pas d’enfant,
Je le gueule à la face
De ce monde des grands
Assassin et rapace,
Pas d’enfant pour vos guerres,
Vous les ferez sans lui,
Dans le sein de sa mère
Il objecte sa vie !
Sophie fut la première à réagir, elle, qui depuis toujours (contrairement à moi qui ne voulait surtout pas être père) se voyait mère de plusieurs enfants. Sylvie et Denis, eux, ne savaient pas trop, mais trouvaient quand même ça plutôt excessif. Bref, une nouvelle fois, je me retrouvais seul face aux critiques et j’avoue que ça ne me déplaisait pas de refaire mon subversif.
-Sophie : Je ne sais pas où tu as encore été chercher cette chanson qui a le don de m’énerver.
-Moi : Il n’y a que la vérité qui blesse.
-Sophie : Quelle vérité ? Comme si on faisait des enfants pour ces raisons-là, c’est n’importe quoi ! On fait d’abord des enfants par amour.
-Moi : Par amour de quoi ou de qui ? Par amour de soi, ça je veux bien l’admettre. Si c’était par amour des enfants, on n’en ferait pas … pas dans un monde pareil.
-Sophie : Encore ce même refrain. Avec des gens comme toi, on ne ferait jamais rien.
-Moi : Il vaut peut-être mieux ne rien faire que de faire ce qu’on fait.
-Sophie : On fait ce qu’on peut et ce n’est déjà pas si mal. Et toi, gros malin, qu’est-ce que tu fais pour améliorer les choses.
-Moi : Je n’ai pas la prétention d’améliorer les choses. Moi aussi, je fais ce que je peux, mais au moins je n’ai pas l’intention de faire supporter mes échecs et ceux des autres à un enfant que j’aurais participé à concevoir au moins pour moitié. Un enfant qui n’a rien demandé et que j’aurais pris la décision de faire venir dans un monde que je trouve assez dégueu. Et pour tout te dire, je ne crois pas qu’on puisse vraiment améliorer les choses. L’inégalité et l’injustice persisteront toujours.
-Sophie : Tu n’es qu’un pessimiste et un égoïste, car la vie est un cadeau que tu refuses de faire.
-Moi : Un cadeau empoisonné. Tu es peut-être heureuse de vivre dans ce monde ; moi pas.
Ça ne fait pas de moi un égoïste ou alors pas davantage que toi. Moi au moins je pense à la vie que devrait mener cet enfant que je ne ferais pas, et je trouve ça plutôt généreux de ma part, alors que toi, si tu fais des enfants c’est égoïstement pour toi, pour ton propre plaisir, pour ne pas être seule au monde. Moi, j’assumerai ma solitude tout seul comme un grand.
Je n’ai pas besoin d’une béquille qui me soutienne tout au long de ma vie. Quelle lourde responsabilité que de faire peser sur les épaules des enfants ce rôle assigné par les parents. Un enfant doit vivre d’abord pour lui-même et non d’abord pour ses parents !
-Sophie : Si tu voulais me mettre en colère, c’est gagné. Tu as vraiment des idées bizarres. Je plains ta future femme. Que feras-tu si elle te demande de lui faire un enfant ? Tu lui exposeras tes théories sur la solitude et tout le reste, quand ta femme, elle, te parlera d’amour ni plus ni moins. Car faire un enfant, c’est d’abord un acte d’amour et non un acte politique comme tu sembles le croire.
-Moi : D’abord tout est politique et ensuite, je n’ai pas l’intention de priver ma compagne de son droit d’avoir des enfants si elle le veut, mais ça ne sera pas avec moi. Donc ma compagne devra obligatoirement avoir les mêmes idées que moi sur la question si elle veut faire un bout de chemin avec moi.
-Sylvie : Et si tu tombes amoureux d’une fille qui veut des enfants ?
-Moi : Je ne suis pas du genre à tomber facilement amoureux. Et puis dis-moi pourquoi serait-ce à moi de renoncer à mon droit de ne pas avoir d’enfant par amour pour elle et non à elle de renoncer à son droit d’avoir des enfants par amour pour moi ?
-Sophie : Décidément tu compliques tout. Faire des enfants, c’est naturel.
-Moi : Les microbes aussi c’est naturel. La prochaine fois que tu seras malade, ne va surtout pas chez le médecin. Il risquerait de te prescrire des médicaments qui par nature sont artificiels. Alors sois malade naturellement, car sinon tu risquerais de guérir artificiellement.
-Sophie : Tu m’énerves !!!
-Denis : Si tout le monde faisait comme toi, il n’y aurait plus personne sur terre.
-Moi : Je ne fais pas de prosélytisme. En revanche, on dirait que ça vous dérange que je ne veuille pas d’enfant. C’est comme dans la chanson quand il dit qu’il n’est pas normal, qu’il a déserté les rangs du troupeau génital etc.…
-Sophie : Pour sûr, tu n’es pas très normal comme gars.
-Moi : Et j’en suis fier, car la norme en l’occurrence est dramatique.
-Sophie : En quoi c’est dramatique d’être normal ?
-Moi : Déjà parce que nous sommes trop nombreux sur terre et aussi pour les raisons qui poussent les gens à se reproduire.
-Sophie : Quelles raisons ?
-Moi : Des raisons, il y en a des tas et des tas. On pourrait en discuter pendant des heures sans jamais être d’accord. Est-ce vraiment la peine de les évoquer ?
-Sophie : Oui ça vaut la peine, car je veux te montrer que tu te trompes.
-Moi : Rire. Alors allons y !
-Sophie : Oui, vas y, donne nous tes raisons.
-Moi : Il y en a tellement que je ne sais pas par laquelle commencer. Mais bon si on parlait de celles de la chanson, notamment des gens qui font des enfants pour réaliser les rêves des parents.
-Sophie : Et alors en quoi c’est mal de réaliser les rêves des parents. Les parents rêvent de ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants.
-Moi : Ils rêvent aussi que leurs enfants réalisent les rêves qu’eux-mêmes n’ont pas réussi à réaliser. Bref, ils cherchent à se réaliser eux-mêmes à travers eux. Tel père qui n’a pas réussi ses études rêvera que son fils termine les siennes et si possible brillamment, même si son fils, lui, a envie de faire un métier manuel. Tel autre rêvera que son fils ou sa fille devienne médecin parce que lui n’aura réussi qu’à être infirmier ou aide-soignant, même si son enfant, lui, rêve d’être artiste, etc.…
-Denis : Il est normal qu’un père cherche à pousser son enfant vers ce qu’il y a de mieux pour son bien.
-Moi : En quoi c’est mieux de faire des études longues pour devenir gratte-papier que de faire des études courtes pour faire un métier manuel, ou encore de devenir médecin ou avocat plutôt qu’artiste ?
-Denis : Parce qu’un père s’inquiète pour son enfant et sait qu’il gagnera mieux sa vie en tant que médecin ou avocat que comme artiste ou travailleur manuel.
-Moi : D’abord, il y a des artistes ou travailleurs manuels qui gagnent bien leur vie, quand certains médecins ou avocats rament pour boucler leur fin de mois, même si c’est plutôt rare, je veux bien te le concéder. Ensuite, il n’y a pas que l’argent dans la vie, il y a aussi l’épanouissement personnel de l’enfant.
-Sophie : Quelle autre raison ?
-Moi : Écoute, je n’ai pas toutes les raisons en tête, mais pour t’en donner une autre évoquée dans la chanson, que dire de ces parents qui font des enfants pour sauver leur couple en naufrage ?
-Sylvie : C’est marginal, surtout aujourd’hui où on divorce dès que le couple commence à battre de l’aile.
-Moi : Je ne suis pas si sûr que ça soit si marginal que ça. Et puis même marginal, c’est déjà trop, je trouve.
-Sophie : Quelle autre raison ?
-Moi : Si tu crois que je vais te faire un catalogue de toutes les mauvaises raisons pour lesquelles les parents font des enfants, tu te trompes. A toi d’essayer de me convaincre en me donnant des arguments susceptibles de me faire changer d’avis. Mais tu risques d’avoir beaucoup de mal, je préfère te prévenir.
-Sophie : Non, je crois que ce n’est pas la peine, ton cas est désespéré.
-Moi : Alors restons en là !
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