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Opaque

  • Alain G
  • 5 avr. 2019
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 juin 2023

Je suis licencié en droit, mais j’ai aussi été licencié de l’O.P.A.C. (Office Public d’Aménagement et de Construction) du Pas-de-Calais. C’était en 1993. Les socialistes, je crois, étaient encore au pouvoir. C’était l’époque où il se disait qu’il fallait interdire le licenciement, certains allant même si je me souviens bien jusqu’à affirmer qu’il fallait  rendre le chômage illégal, idée à priori de premier abord généreuse mais au final très dangereuse. En effet, si d’aventure un jour le chômage devenait illégal, les chômeurs deviendraient de fait hors-la-loi et en tant que tels, leur place serait en prison. Peut-être enfin le remède radical à la crise économique pour d’aucuns. Idéal car en prison on travaille pour pouvoir améliorer l’ordinaire mais sans avoir le droit de faire grève : le rêve de quelques uns ! En prison, c’est un peu où l’on se trouve quand on a des TOC… surtout lorsque ceux-ci sont importants. C’est mon cas… quoique aujourd’hui la dépression semble avoir pris le pas sur les tocs, mais c’est une autre histoire. Revenons à mon licenciement. Je travaillais donc à l’O.P.A.C. du Pas-de-Calais, à la direction du développement, avant (intégrant alors le quart monde) de prendre par voie de conséquence celle du sous-développement. Le directeur du développement, il ne s’en cachait pas, était socialiste. Il fut aussi mon licencieur. Mais est-on forcément socialiste quand on a la carte du PS ? J'en suis encore hélas à me le demander. Je n’ai pas vraiment compris non plus pourquoi je m’étais fait licencié. Je me croyais pourtant bon et voilà qu’on me signifiait en me licenciant que j’étais mauvais. Ça m’a mis KO et j’en avais honte. Je ne me suis pas défendu, je n’ai même pas essayé. J’ai cru que j’allais m’en sortir et je me suis enfoncé. Sans doute étais-je plus fragile que je ne le croyais. Mais il faut dire aussi qu'à l'époque, je craignais naïvement que si je faisais un recours aux Prud'hommes je risquais de me faire griller professionnellement aux yeux de mon ou mes futurs recruteurs. Qu'est-ce qu'on peut être con quand on est jeune quand même, hein ? Les mois et les années passèrent et petit à petit je m’étais mis à me laver les mains de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps. Je me sentais sale. Les odeurs de cuisine me dérangeaient de plus en plus. Puis un jour c’était devenu insupportable. Après avoir mangé je me sentais tellement sale que je n’avais qu’une seule envie : celle de me laver et de me changer entièrement. Évidemment, je ne pouvais pas me laver et me changer après chaque repas. Alors mon esprit, je ne sais pas exactement comment, a finalement trouvé une solution : m’inspecter des pieds à la tête face à un miroir pendant parfois des heures à la recherche d’une hypothétique tache que j’aurais pu me faire en mangeant. Et ça a marché. Après ce long rituel je ne me sentais plus sale et je pouvais recommencer à fonctionner quasi normalement, à ceci près que je voyais de la saleté partout ou presque, et de plus en plus. J’avais réussi à me convaincre, de quelle façon je l'ignore, que les odeurs de cuisine, dont je me sentais comme incrusté après m’être mis à table, étaient en fait des molécules en suspension dans l’air, les mêmes molécules qui composent les taches que l’on peut parfois se faire en mangeant. Ne pouvant rien contre les molécules en suspension dans l’air, je me suis concentré sur celle que l’on pouvait voir : les taches réelles et non celles hypothétiques qui pouvaient se trouver dans l’air. J’étais comme possédé. Il fallait que je sois irréprochable, sans tache. C’était devenu pour moi la preuve que je ne sentais pas mauvais, que je ne sentais pas les odeurs de cuisson.

Au début, je ne savais pas que c’était une maladie. Je croyais être seul au monde à me comporter ainsi. Puis les émissions, reportages et documentaires sur les tocs se sont multipliés et j’ai pu mettre un nom sur mon comportement bizarre. J’ai fini par consulter un psychiatre. Il fut même un temps où j’en avais deux : un plutôt de tradition psychanalytique et un autre que je souhaitais comportementaliste. Malheureusement pour moi, il s’est avéré que j’étais résistant à tout traitement classique. Les cachets me permettaient de dormir comme jamais j’aurais cru qu’il était possible de bien dormir, mais restaient sans effet sur mes tocs. Alors bien sûr j’ai essayé de comprendre pourquoi ça m’était arrivé. J’ai demandé à mon psy et selon lui, mon licenciement n’y serait pas pour rien. En somme pour résumer, c'était comme si en me retrouvant au chômage et donc sans tâche sociale à accomplir, j'étais dès lors, par je ne sais quel mécanisme inconscient, obligé désormais de vérifier que j'étais sans tache. Moi aussi au début, j’ai cru que ce petit jeu de mots n’était qu’une simple coïncidence, mais avec le temps je n’en suis plus si sûr. Car certes, il devait sans doute y avoir en moi un terrain favorable, une vulnérabilité personnelle, une prédisposition peut-être génétique ou culturelle, voire un peu des deux, mais le licenciement fut lui aussi un traumatisme en soi : une exclusion que je n’ai pas digérée même si j’ai voulu faire bonne figure. D’ailleurs d’après ce que j'ai cru comprendre, pour avoir des TOC non seulement il faut cette prédisposition qu'apparemment je possède, mais aussi il faut une sorte de déclencheur qui est en général une perte ... perte d'un être cher ou pourquoi pas perte d'un emploi, comme dans mon cas. Moi qui me croyais bon, on me renvoyait comme si je sentais mauvais, on me mettait dehors comme si je puais le pâté ou le camembert, alors que quelques semaines auparavant je recevais une prime de rendement qu’à priori tous ne reçurent pas au sein du service dans lequel je travaillais. A n’y rien comprendre. Car ou bien la prime de rendement était attribuée aux agents rentables ou bien elle était accordée à la tête du client, et dans ce cas que s’était-il passé entre temps ? Il y a bien eu un événement, mais restant dans le domaine de l’incertain, j’en suis réduit à l’envisager comme simple hypothèse. Le lecteur jugera. Le service entier était réuni en l’honneur du PDG d’une entreprise locale bien implantée venu, accompagné de son fils, rendre visite à son ami le directeur. C’était un pot improvisé dans une ambiance sympathique. A un moment donné, le père se tourna en direction de son fils et lui demanda si son problème de logement était réglé. Le fils répondit que oui, Hervé, mon supérieur hiérarchique direct avec lequel je ne m’entendais que très moyennement (mais je n’étais pas le seul), lui ayant dégoté une maison dans le coin qui était précisément l’une de celle qu’en tant qu’assistant foncier j’étais en train d’acquérir pour l’OPAC en vue de sa mise en location. Il faut préciser qu’acquis avec des "fonds sociaux" les immeubles ainsi devenus propriété de l’OPAC étaient destinés à un public en principe défavorisé. Quelques jours plus tard, dès que j’en eus l’occasion, je demandais à Hervé puisqu’on pouvait l’accorder au fils du patron en question, si moi aussi je ne pouvais pas bénéficier d’un tel logement. Celui-ci joua l’étonné et répliqua qu’il devait probablement être bourré pour avoir dit ça. L’affaire en resta là comme je l’ai longtemps cru jusqu’au jour où bien après mon licenciement cette histoire me revint en tête avec l’insistance d’un air de musique dont on arrive pas à se débarrasser.

Je ne saurais jamais si ma « naïveté » aura été la raison de mon licenciement. Ça restera une hypothèse, à la différence de mes tocs qui demeurent, eux, toujours une réalité.

 
 
 

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