Mon père a fait des délires de persécution. Il accusait ma mère de l’empoisonner, et pas au sens figuré. Il la soupçonnait réellement de lui mettre du poison dans sa nourriture, et c’est allé très loin puisqu’il en est arrivé à commettre une tentative de meurtre sur la personne de son épouse. Il a été interné plusieurs fois, ce qui aura au moins pour lui eu l’avantage de lui éviter la case la prison pour sa tentative de meurtre.
Évidemment, quand j’ai vu ce que la paranoïa pouvait engendrer chez une personne, je me suis mis à me surveiller de très près de manière à pouvoir repérer toute trace de paranoïa dans mes comportements ou dans mes propos. Ça a duré vraiment très longtemps.
Et puis avec le temps, je me suis rendu compte qu’on pouvait être parano sans faire de délire, et que même dans la société anxiogène dans laquelle on vit, il était plutôt recommandé de l’être au moins un minimum, en veillant toutefois à ne pas sombrer dans la maladie, et en faisant donc attention à ne pas l’être jusqu’au maximum. Car les menaces qui nous entourent sont bien réelles, on peut dire ce qu’on veut, elles existent.
Face à ce constat, deux attitudes extrêmes sont possibles, avec comme toujours au milieu une voie médiane. On peut en effet d’un côté se mettre à tout suspecter, et la vie finit vite par devenir invivable. Puis on peut au contraire se dire qu’il vaut mieux ne pas se méfier du tout, être naïf en somme.
Bien sûr la raison se trouve au milieu, entre ces deux extrêmes-là, dans le plus ou moins selon les situations ou les circonstances.
Contre toutes ces menaces, des compagnies nous vendent des assurances, que la plupart d’entre nous prenons volontiers, quand ces assurances ne sont pas carrément obligatoires.
On cherche le plus possible à se rassurer, on se dit qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver, mais que de toutes façons on a au moins pris toutes les assurances pour éviter le pire autant que faire se peut. On se dit qu’on pourra toujours compter sur la famille, sur les amis, sur les institutions, sauf que tout cela s’entretient : pour pouvoir espérer se reposer sur la famille ou les amis en cas de coup dur, il ne faut pas les négliger, et ce n’est pas seulement un plaisir, mais aussi un travail, car pour pouvoir ménager sa famille et ses amis les week-ends ou le soir après le boulot et les devoirs des enfants, il faut vraiment savoir gérer son emploi du temps, et ce n’est pas toujours facile. D’ailleurs, très souvent on a pas le temps de tout faire, il faut faire des choix. En général, une fois mariés on laisse tomber les amis pour se consacrer à sa famille, ce qui est déjà très chronophage. En ce qui me concerne, je crois que l’amitié est surtout réservée aux enfants ou aux jeunes qui en ont besoin pour se former à la vie. Après cette courte période de l’existence qu’est la jeunesse, on aurait plutôt tendance à tisser des relations utiles, des alliances pour le cas échéant se prémunir contre un mauvais coup du sort. Ça devient en somme comme une sorte de calcul que l’on fait contre toutes ces menaces qui gravitent autour de nous, il suffit de regarder ou écouter les infos pour s’en convaincre. On est donc bien obligé d’être un tant soit peu parano vous ne trouvez pas, quand on n’y est pas carrément encouragé que ce soit par nos proches ou les institutions qui nous recommandent d’être vigilants.
On pourrait se dire que sans ces menaces, ce serait le paradis, mais je crois que beaucoup d’entre nous trouveraient au contraire en fait l’ennui dans ce paradis. Donc on en est là, trop parano, on finit par se dire que la vie est trop dangereuse et on peut même en venir à renoncer à ses projets d’avenir, y compris à refuser de se reproduire. En revanche pas assez parano, c’est comme si on s’aventurait sur Internet sans antivirus. Triste sort finalement que celui de l’être humain en société. Mais est-ce tellement mieux chez les animaux ? A ma connaissance, chez eux non plus, il n’y a guère d’amitié, sauf peut-être quelques exceptions, et encore je n’en suis pas sûr.
C’est comme ça. Il faut bien s’y faire ou s’en défaire.
Se défaire de quoi ? Ben de la vie bien sûr !
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