On a tendance à considérer aujourd’hui qu’avoir un enfant est comme un droit. Ce serait comme un droit naturel, un droit accordé par Dieu en personne. Pourtant en société, il faut un permis pour pratiquement tout : conduire, chasser, construire, etc... Mais pour faire un enfant n’importe qui y aurait droit. Est-ce normal ?
Charles et Guillaume en débattirent à la terrasse d’un café.
Guillaume : Tu te rends compte, ma sœur m’a raconté dernièrement que dans une petite surface commerciale à petits prix, une jeune femme accompagnée de sa petite fille a laissée son enfant faire pipi à l’intérieur du magasin, et quand l’une des vendeuses est venue lui demander de nettoyer ce que sa fille venait de faire en lui fournissant le matériel adéquat, celle-ci l’a certes fait mais en menaçant d’aller porter plainte parce qu’on l’avait humiliée en l’obligeant à nettoyer la saleté que sa fille venait de faire, comme si c’était normal de laisser son enfant faire ses besoins dans un magasin au lieu de la conduire dehors pour qu’elle y fasse ce que la nature la pressait de faire.
Charles : Typique manque d’éducation. Tant qu’on laissera n’importe qui faire des enfants sans contrôler au préalable s’ils sont capables d’être parents, ça ne risque pas de changer.
Guillaume : OK, mais contrôler par qui et comment ? Qui pourrait s’arroger le droit de dire qui est capable d’être parent et qui ne l’est pas ?
Charles : Mais la société bien sûr, car c’est elle qui après est obligée d’assumer les conséquences, voire de réparer les dégâts si possible, quand l’enfant mal éduqué grandit et devient un cas social.
Guillaume : Certes, mais la société ça reste vague, qui physiquement aurait les compétences pour juger que tel homme ou telle femme est digne d’être parent ou pas ?
Charles : Pourquoi faudrait-il que ce soit une personne physique ? On peut tout à fait imaginer que ça relève d’une commission composée d’experts en tous genres désignés par l’autorité judiciaire par exemple sur la base d’une ou plusieurs enquêtes contradictoires réalisées préalablement et avec toutes les voies de recours possibles et imaginables pour pouvoir contester le cas échéant. D’ailleurs, n’est-ce pas déjà ce qui se passe quand un couple cherche à adopter un enfant ? Alors pourquoi ce qui est vrai pour un enfant adopté ne le serait pas aussi pour un enfant conçu naturellement ?
Guillaume : Parce que ce qui est possible avec un enfant adopté ne le serait pas aussi facilement avec un enfant naturellement conçu. Je veux dire que si les parents adoptifs ne sont pas jugés dignes, il est facile de leur refuser ce droit en ne leur accordant pas tout simplement la garde de l’enfant mais en l’attribuant à un autre couple. Alors que dans le cas d’un couple fertile en âge de procréer, je ne vois pas comment tu pourrais les empêcher physiquement d’avoir un ou des enfants si ce couple est déterminé à fonder une famille. C’est tout bonnement et pratiquement impossible.
Charles : Impossible de les empêcher de mettre au monde peut-être cet ou ces enfants, mais possible de leur en retirer la garde s’ils ont fait cet ou ces enfants sans le permis adéquat, à moins bien sûr qu’ils ne s’engagent par exemple à intégrer une « école des parents » pour obtenir ce permis ou alors à suivre un stage de remise à niveau, un peu sur le principe du permis à points.
Guillaume : Ah ouais carrément ! Mais as-tu pensé à l’intérêt de l’enfant qu’on aura ainsi retiré à ses vrais parents pour le confier à des parents de substitution disposant de l’autorisation officielle d’être parents, ce qui en pratique reviendrait sûrement à les confier aux institutions, pour ne pas dire orphelinats?
Charles : Je pense que l’intérêt de l’enfant est avant tout d’avoir des parents dignes de l’être et non de les laisser entre les mains de n’importe quel individu psychiquement immature sous prétexte seulement qu’il en a envie. Ce n'est pas parce que j’ai envie de rouler en voiture qu’on doit me la laisser conduire sans permis !
Guillaume : Sauf que rouler en voiture, ça s’apprend, alors que je ne suis pas sûr qu’il existe des professeurs ou moniteurs pour apprendre à devenir parent. Dans le règne animal, devenir parent est quelque chose de tout à fait naturel. Or nous appartenons aussi au règne animal.
Charles : Nous appartenons certes toujours au règne animal, mais sommes-nous vraiment toujours des animaux depuis que nous avons décidé de vivre en société ? Nous nous définissons avant tout depuis comme des êtres civilisés et comme tel nous devons respecter des règles, dont à mon avis le permis d’être parent devrait faire partie. Et d’ailleurs, même dans la nature les animaux s’autorégulent, alors pourquoi pas les hommes ? Chez les loups seul le couple alpha peut se reproduire, chez les oiseaux la femelle ne pondra qu’une fois le nid construit et jamais avant, et d’une manière générale quand les conditions ne sont pas favorables les petits quand il y en a sont peu nombreux. Il n’y a que chez les hommes qu’on voit ça : faire des enfants alors que les conditions sont défavorables.
Guillaume : C’est peut-être justement parce que nous sommes plus des animaux qu’on peut désormais choisir d’avoir des enfants même quand la nature nous en empêche, je pense notamment aux couples infertiles.
Charles : Un couple infertile pourrait très bien faire un très bon couple de parents quand dans le même temps un couple tout à fait fertile pourrait faire de bien piètres parents. Être un bon parent, c’est déjà être suffisamment responsable pour ne pas mettre au monde un enfant en sachant que cet enfant ne sera pas heureux car les conditions ne s’y prêtent pas. A t’entendre, c’est comme si en cessant d’être des animaux, on se serait arrogés le droit d’être bête, un comble non ?
Guillaume : Peut-être, sauf que je crois vraiment que si un tel permis devait voir le jour, ce serait un drame, d’abord parce qu’il y aurait une telle opposition dans la population que ça tournerait carrément à la guerre civile, et parce qu’ensuite, les situations dramatiques d’enfants ayant été privés de leur vrais parents ou de personnes interdites de le devenir deviendraient vite ingérables.
Charles : Dans ce cas, instituons au moins une école pour les parents défaillants !
Guillaume : Qu'est-ce qu'un parent défaillant ?
Charles : Un parent qui n'a pas reçu le minimum d'éducation requis pour prétendre devenir parent. Comment en effet n'ayant pas reçu ce minimum d'éducation nécessaire pour pouvoir être parent pourrait-il le transmettre à son tour à son ou ses enfants ?
Guillaume : Et ce serait quoi au juste ce minimum requis pour pouvoir être parent ?
Charles : Le minimum nécessaire à acquérir impérativement pour pouvoir évoluer en société non pas comme un sauvage mais comme un individu civilisé ?
Guillaume : Ça ne me dit pas concrètement ce qu'on mettrait précisément dans ce minimum pré-requis !
Charles : Mais ça ce n'est pas à moi en tant qu'individu de le définir mais à la société à travers ses règles et ses lois.
Guillaume : Sauf que ça existe déjà ça, ça s'appelle l'école !
Charles : Oui, l'école pour les enfants, mais on ne peut pas tout demander à cette école-là. On ne peut pas lui demander notamment de se substituer aux parents. A quoi bon par exemple apprendre à un enfant à respecter l'autre si une fois l'enfant revenu chez lui, sa famille lui apprend tout le contraire par son comportement irrespectueux des autres ?
Guillaume : OK pour une école des parents dans le principe, mais dans la réalité je vois vraiment pas comment on pourrait procéder matériellement. Si ça avait été possible, j'imagine que ça fait longtemps qu'on l'aurait inventé, tu ne crois pas ?
Charles : Tu as peut-être raison, mais dans ce cas, cette société qui se complexifie n'a pas d'avenir, car on ne peut pas continuer à aspirer à vivre dans une société de plus en plus policée et tolérer que certains puissent se reproduire sans avoir reçu le minimum requis à transmettre à sa progéniture pour que cette société soit la plus harmonieuse possible. C'est incompatible, car il faudra toujours plus de travailleurs sociaux, ou quel que soit le nom que tu leur donnes, pour réparer, que dis-je, pour essayer de réparer les dégâts qui trouvent leur source dans ce manque d'éducation.
Guillaume : En fait, si je te suis bien, tu voudrais remettre à l'ordre du jour, mais pour les parents cette fois, les leçons de morale qu'on ne donne plus aux enfants, pas vrai ?
Charles : Tout de suite les grands mots, leçons de morale ! Pourquoi ne pas parler de communication ? Apprendre à communiquer n'est-ce pas ce qui manque cruellement dans nos sociétés ... et alors sinon oui pourquoi ne pas intégrer aussi la politesse dans ces cours de communication ? Ne communique-t-on pas mieux en effet en s'adressant poliment à son ou ses interlocuteurs qu'en les invectivant ou en étant odieux avec eux ?
Guillaume : Et qui mettrait au point les programmes de cette discipline à enseigner aux parents ?
Charles : Mais nous tous bien sûr ! Et d'ailleurs pourquoi ne l'enseigner qu'aux parents ? Aux enfants aussi d'abord. Aux parents ensuite, je veux dire à ceux qui en auraient besoin pour s'être montré défaillants, voila tout ... des cours de rattrapage en somme, rien de plus!
Pas de quoi fouetter un chat non plus, tu ne trouves pas ?
Guillaume : Ouais peut-être, mais quand je vois les difficultés que les hommes et les femmes politiques ont pour n'essayer seulement qu'à réformer la société, une idée comme celle-là qui serait qualifiée de révolutionnaire ou de réactionnaire selon le côté où l'on se positionnerait, aurait beaucoup de mal à s'imposer dans un consensus général. Il y aurait sûrement une insurrection, voire une guerre civile. A mon avis, il vaudrait mieux en rester là où nous en sommes sans chercher à réveiller des conflits qui ne demandent qu'à renaître.
Charles : Sauf qu'on aura de plus en plus de mal à gérer ces problèmes sociaux, et il finira par y avoir un moment où engager toujours plus de "travailleurs sociaux" ou construire de nouvelles prisons ne suffira plus, et alors là ta guerre civile par rapport au chaos qui régnera alors dans la société ne sera finalement peut-être que peu de chose.
Guillaume : Peut-être ou peut-être pas ! Qui vivra verra !
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