On parle parfois de Justice de classe, mais on devrait d’abord je crois parler de Police de classe. Je le dis pour en avoir fait l’expérience à trois reprises, c’est-à-dire les trois fois en fait où j’ai eu affaire à elle, la police. Je ne parle évidemment pas des contrôles d’identité ou contrôles routiers auxquels on a tous ou presque eu droit un jour. Non, je parle des trois fois où je me suis retrouvé dans un commissariat, d’ailleurs toujours le même, à porter ou vouloir porter plainte.
La première fois, je ne me souviens plus si j’étais déjà majeur, c’est quand on a volé mon cyclomoteur. J’habitais déjà là où j’habite encore, en H.L.M. Je laissais mon cyclomoteur, que je venais juste de faire réparer, dans le local réservé à cet effet qui, je crois bien, fermait déjà à clef, tout comme aujourd’hui. Et donc, à moins qu’un locataire ne l’ait laissé ouvert, il a bien fallu que quelqu’un l’ouvre à priori avec une clef dont il était en possession, sauf à utiliser un passe. Mais dans ce cas, avouez que je n’ai vraiment pas de chance, car c’est justement sur ce local-ci que le voleur a jeté son dévolu et pas un autre, alors qu’il n’en manquait pas, des locaux exactement du même type dans le coin, à croire qu’il savait parfaitement ce qu’il cherchait. En tout cas, il aurait voulu faire exprès, qu’il n’aurait pas mieux fait, non ? A mon avis, il n’a pas opéré au hasard, ce qu’une enquête aurait peut-être pu démontrer. Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais quand Messieurs Hollande ou Sarkozy, ont eu un problème de scooter dans leur famille, les policiers ont remué ciel et terre pour retrouver le scooter volé et sans doute le ou les auteurs du vol. A moi, je me souviens, l’agent qui m’a reçu s’est juste contenté de me donner un document à transmettre à l’assureur qui de toute façon n’a rien remboursé, puisque le cyclomoteur n’était plus de première jeunesse. Pourtant mon cyclomoteur valait bien le scooter que je viens d’évoquer, pas vrai ? Était-ce parce que j’habitais en H.L.M. et que la rumeur, qui s’est depuis largement répandu dans la société, selon laquelle ces lieux sont un nid d’assistés, de chômeurs, de fainéants ou même de trafiquants, bref de pauvres, ces gens peu fréquentables qu’on ne sait plus où mettre, commençait déjà à s’immiscer dans les esprits bien à droite, et aujourd’hui parfois même à gauche. C’est à se le demander quand même, ou était-ce juste de la fainéantise voire de l’incompétence, à moins que ça ne soit un peu des deux. Car franchement, je ne crois pas que c’était un manque de moyens, argument sans doute parfois justifié que les policiers aiment souvent mettre en avant pour expliquer la situation. Sinon alors pourquoi a-t-on trouvé les moyens pour Messieurs Sarkozy ou Hollande et pas pour moi. Peut-être parce qu’il y a au moins deux polices : la police pour les gens riches, puissants, célèbres et la police pour les autres, le commun. Pour les premiers, là, la police fait son travail, et pour les seconds, elle fait le strict minimum, c’est-à-dire en fait rien ou presque.
La deuxième fois où j’ai voulu porter plainte, c’est quand un locataire comme il en existe quelques uns en H.L.M., avait déposé au bord de l’escalier (j’habite au deuxième) un produit qui rend le sol aussi glissant qu’une patinoire. L’auteur des faits trouvait sans doute drôle qu’on puisse en voulant les descendre se tordre le cou dans les escaliers. Moi, je trouvais ça moins drôle et j’ai voulu porter plainte, mais on m’a répondu que le délit n’était pas constitué, autrement dit : circulez, il n’y a rien à voir ! Évidemment, le délit était bien sûr bel et bien constitué même si personne n’était tombé dans l’escalier. Ces Messieurs étaient sans doute trop occupés ailleurs ou n’avaient pas envie de s’embêter à venir constater l’infraction et effectuer les recherches pour appréhender l’auteur des faits. J’imagine que si j’avais eu un nom célèbre (hypothèse d’école car évidemment si cela avait été le cas, je n’aurais sans doute pas habité en H.L.M.), les policiers ne se seraient pas faits prier pour venir faire ce qu’ils auraient dû faire.
Vient enfin la troisième et j’espère dernière fois que j’aurai à faire à la police, bien qu’avec la chance qu’apparemment j’ai, rien ne soit vraiment sûr. Cette fois-ci tout a commencé avec ma boîte aux lettres. Quelqu’un, qui s’est avéré être mon voisin de pallier, s’amusait à la remplir de prospectus. D’abord juste un peu, puis de plus en plus, jusqu’à la remplir à ras bord. C’est simple, avant même de l’ouvrir, je savais qu’elle était pleine juste en regardant à travers la fente. Croyez-moi, surtout quand ça dure des mois comme dans mon cas, ça énerve. Aux policiers, il dira que c’est parce qu’on faisait la même chose avec sa boîte aux lettres qu’il a fait ça avec moi, à l’égard de qui il avait de la suspicion. Bien évidemment, c’est complètement faux car il se trouve que sa boîte se situant juste en dessous de la mienne, j’ai encore un meilleur angle de vue sur son orifice que sur celui de ma propre boîte, et je ne me souviens pas m’être jamais dit : tiens, sa boîte à lui aussi est pleine ! Et d’ailleurs, il ne m’a pas mis que des prospectus, mais aussi des préservatifs. Là aussi, il dira que c’est parce qu’on lui avait mis également des préservatifs dans sa boîte, et qu’il croyait que c’était moi, qu’il en a fait autant à mon endroit. Évidemment, je sais très bien ne lui avoir jamais mis le moindre préservatif dans sa boîte. Ne l’ayant jamais fait avec la boîte aux lettres d’une femme, n’étant pas homosexuel ni bisexuel, je n’allais tout de même pas le faire avec celle d’un homme ou d’un couple. Et d’ailleurs en plus de trente ans que je réside là, jamais c’est arrivé avant que mon voisin n’emménage à côté de chez moi. Et puis franchement, je ne vois pas qui, parmi les autres locataires de la résidence, aurait pu faire ça. Je ne saurais sans doute jamais pourquoi exactement il m’a mis ces préservatifs, mais on ne me fera jamais croire qu’il n’y a pas derrière le fait de mettre des préservatifs dans la boîte aux lettres d’un voisin pour le moins une connotation sexuelle. Vous avouerez en outre que si vraiment quelqu’un lui avait mis prospectus et préservatifs dans sa boîte aux lettres, je manque singulièrement de chance pour qu’il ait immédiatement pensé que c’était moi, alors que personnellement j’ai mis plusieurs mois avant d’être sûr qu’en fait c’était au contraire lui qui faisait ça avec moi. Bizarre, non ? Se croyait-il persécuté par moi ? C’est vraiment pas de chance, mince alors !
Pour l’anecdote, je me souviens, quand j’ai reçu ces préservatifs en cadeau dans ma boîte, avoir mis une affichette dans l’espace prévu à cet effet dans le hall d’entrée, dans laquelle je disais en substance que si c’était une invitation, et si celle qui en était à l’origine était une belle femme, elle pouvait toujours me contacter, on ne sait jamais, mais que dans le cas contraire je n’étais pas intéressé. Il n’a pas fallu longtemps avant qu’elle n’ait été purement et simplement arrachée, mais les prospectus, quant à eux, ont continué à inonder ma boîte. Et la dernière fois, il a même fait très fort, puisqu’il a réussi en plus des prospectus à y introduire un tapis de sol plié en trois ou quatre qui traînait dans le coin. A ce moment-là, sachant que c’était lui, je lui ai évidemment tout remis dans sa boîte, ce qui ne lui a pas du tout plu, puisqu’en réponse, il a craché dans ma boîte aux lettres. Franchement, il faut vraiment être un porc pour faire ce genre de chose, et encore même un porc n’aurait pas fait ça. Moi en tout cas, ça m’a mis en rage, j’ai vu rouge, j’ai carrément péter un câble comme on dit aujourd’hui : j’ai tapé dans sa porte à coups de poings et à coups de pieds. Et puis, me rendant tout de même compte que j’avais déconné, je suis entré chez moi pour appeler la police. Vous noterez que c’est moi qui ait appelé la police et pas lui, alors qu’ayant donné des coups dans sa porte, c’est plutôt lui qui aurait dû le faire. Non, lui a préféré demander à son copain qui se trouvait dans son appartement de venir m’agresser. Ils ont tous deux forcé ma porte et le second, à l’existence duquel la police n’a évidemment pas voulu croire, avait dans sa main un clef, genre clef à molette mais sans molette, bref une clef plate de garagiste, mais vraiment impressionnante la clef. Comme une troupe de CRS, ils m’ont chargé dans mon étroit couloir, fait tombé par terre et, pendant que je tombais, donné un coup de clef au niveau de la tempe gauche. Résultat : cinq points de suture à côté de l’œil que pour peu je perdais.
Placé en garde à vue, il a raconté qu’on s’était battu et la police en a déduit que je m’étais fait cette plaie à la tempe en tombant sur la barre de seuil, où se trouvait la flaque de sang qui s’était constituée du fait qu’étant resté immobilisé à terre sur le dos quelques instants, coulant abondamment le long de la tempe, le sang s’est accumulé à l’arrière du crâne sur le sol à l’endroit où se trouvait la barre de seuil. Ma version, alors que l’individu était pourtant connu de leurs services, ne les a pas convaincu, peut-être parce qu’elle aurait demandé plus de travail, du travail qu’ils n’avaient pas envie de fournir. La version de mon voisin, plus simple, leur convenait mieux pour pouvoir boucler rapidement le dossier. Je dirais quant à moi plutôt bâclé que bouclé. Il n’y a quasiment pas eu d’enquête en fait, pas de reconstitution qui aurait permis de démontrer que la version de mon voisin ne tenait pas la route, mais non, rien !
Il se trouve que je suis tombé sur le dos, mais la personne qui m’a interrogé ne m’a jamais demandé comment j’étais tombé, c’est dire comme il a bien fait son travail. Comment se fait-il qu’il ait été convaincu que j’étais tombé sur la tempe et donc sur le côté et non sur le dos, sans même me le demander. Ça s’appelle avoir un parti pris. Le résultat, c’est tout de même qu’ils ont conclu que je m’étais fait cette plaie sur le côté … alors que je suis tombé sur le dos. Me faire une plaie à la tempe en tombant sur le dos, ils sont forts, pas vrai ? C’est aussi gros que s’ils avaient conclu que la victime s’est suicidée d’une balle dans le dos, vous ne trouvez pas ?
Évidemment, j’ai contesté en écrivant au Procureur que je n’étais pas d’accord, en lui fournissant un certificat médical complémentaire à l’appui faisant état des gros hématomes que j’avais suite à ma chute, au niveau du coude d’un côté et au niveau du bras de l’autre, ce qui indique assez clairement que je suis tombé sur le dos, me semble-t-il. J’aurais bien sûr dû contester en refusant de signer le procès verbal d’audition que l’on m’avait fait signer. Mais à ce moment-là, j’étais loin d’imaginer que la Police allait conclure ce qu’elle a conclu. Je lui faisais confiance, et puis encore aurait-il fallu que je puisse lire ce qu’on m’avait fait signé. Or sans mes lunettes, que de toute façon j’aurais eues du mal à mettre à cause de la plaie encore douloureuse, car tout juste refermée, que j’avais à la tempe, cela m’aurait été difficile. Et puis, j’étais quand même pas tout à fait au summum de ma forme, après avoir passé la nuit aux urgences à attendre des heures pour me faire recoudre, quand en début de matinée je me suis rendu au commissariat pour répondre aux questions de celui qui était chargé de me les poser. Si vraiment, ils croyaient que je mentais, ils auraient dû au minimum m’envoyer chez un médecin légiste pendant que la plaie bien que suturée était encore relativement fraîche, au lieu de conclure que je m’étais fait ça en tombant. Seul, un légiste aurait été en mesure de dire si cette plaie était due à une chute ou à un coup comme je l’ai toujours affirmé. L’enquêteur, si je peux l’appeler ainsi, a certes évoqué l’hypothèse du légiste, mais m’a-t-il dit « ça coûte cher ». Quand je lui ai demandé combien ça coûtait, il m’a répondu « ça coûte cher mes impôts ». J’ai pensé que pour lui, les impôts ça devait surtout, en tant que fonctionnaire de police, servir à payer son salaire, mais qu’il n’avait que faire que cela serve à établir la vérité.
Alors au fait pourquoi ont-ils choisi de croire mon voisin plutôt que moi ? Était-ce par fainéantise, par incompétence, parce que c’était mieux pour leurs statistiques (qui sait en effet si certains d’entre eux ne reçoivent pas des primes quand les chiffres de la délinquance sont conformes à leurs attentes, quitte au besoin à les embellir artificiellement ?), à moins que c’était peut-être tout simplement parce qu’ils le protégeaient ? Eh oui, ça n’est pas impossible. En effet, connu de leur service, ils auraient très bien pu s’arranger avec lui en lui promettant un rapport en sa faveur s’il leur donnait quelques tuyaux sur d'anciennes ou prochaines affaires. Qui sait s’il n’est pas devenu, ou peut-être même était déjà, leur indicateur ? Car tout de même, il faut bien trouver une explication à leurs conclusions, qui me semblent pour le moins étranges. Serait-ce parce qu’ils préféraient charger quelqu’un qui ne risquait pas de leur poser problème, plutôt que mon voisin dont ils connaissait déjà le pedigree, ainsi peut-être de celui de la bande à laquelle il appartenait éventuellement, et dont ils craignaient les répercussions sur eux-mêmes ou leur famille ? J’en suis venu à tout envisager.
Personnellement, j’ai quand même tendance à penser que c’est parce que je ne faisais pas partie des notables. En effet, je me souviens qu’au cours de mon audition quand je me faisais trop insistant, le policier m’a dit que je regardais trop NCIS. Derrière, cette phrase j’ai en effet compris plus tard qu’il fallait entendre : « Mais mon bon Monsieur, si vous croyez que pour vous, on va se décarcasser, c’est que vous regardez trop la télé. Bien sûr si par exemple vous vous appeliez Kardashian et qu’on vous avait volé vos bijoux, on aurait mis le paquet pour retrouver à la fois les bijoux et les auteurs du vol. Mais vous, franchement pour qui vous prenez vous ? ».
Et en effet, pour moi, ils n’ont même pas cherché à retrouver le deuxième gars qui était pourtant, pour info, le même que celui qui l’avait aidé, l’été précédent les faits, à nettoyer son garage au karcher. Il y avait donc moyen de faire une enquête de voisinage, car si moi je l’ai vu, même si je n’ai pas fait le rapprochement tout de suite, d’autres voisins qui peut-être le connaissaient et auraient pu le reconnaître, l’ont vu aussi. Mais non, rien de rien : ils ont préféré partir du principe qu’il n’existait pas et comme ça la question était réglée. Au fait, il faut que je précise : je n’ai jamais regardé NCIS, car il se trouve que je n’apprécie guère les séries ou autres feuilletons.
Après cela, plus aucune nouvelle pendant plus de deux ans.
Quand on songe à la vitesse que la police a mis pour retrouver l’agresseur de Marie Laguerre par exemple, cette jeune femme agressée dont l’histoire avait été médiatisée grâce à la diffusion d’une vidéo providentielle, (ce qui prouve au passage que quand ils veulent, ils peuvent, même si à priori c’est surtout quand c’est médiatisé qu’ils le veulent et donc le peuvent) je ne peux que me dire que si j’avais eu cette notoriété mon affaire aurait déjà été jugée depuis longtemps. Si j’avais su, j’aurais installé des caméras partout dans mon appartement, et j’aurais cherché à médiatiser les vidéos obtenues sur les réseaux sociaux.
Mais n’ayant pas installé de caméras chez moi et n’étant qu’un illustre inconnu, ce n’est que plus de deux ans après que le commissariat me recontacta par téléphone, à la demande du procureur, pour me demander à combien j’estimais le montant de mon préjudice. M’étant renseigné auprès d’une association d’aide aux victimes, et considérant que les dommages et intérêts sont en principe conçus pour essayer de remettre, autant que possible, la victime dans l’état où il se trouvait avant les faits, c’est-à-dire à l’époque où je n’avais pas encore cette cicatrice à la tempe gauche, qu’éventuellement je pourrais essayer de faire disparaître en ayant recours à un chirurgien esthétique, dont les honoraires à ma connaissance se comptent plus vraisemblablement en milliers qu’en centaines d’euros, surtout si plusieurs opérations pour arriver au résultat espéré s’avéraient nécessaires, j’annonçai le montant de 5000 euros, montant que la personne au bout du fil estima trop important, et m’encouragea à reconsidérer à la baisse. Mais j’ai maintenu le montant à la hauteur que j’évaluais la gravité de mon préjudice, et puis au point où j’en étais, l’un de mes derniers espoirs, pour qu’on retrouve enfin celui de mes deux agresseurs qui avait la clef qui m’a fait cette cicatrice, consistait à imaginer que seul un montant relativement conséquent pouvait conduire mon voisin à se retourner contre son complice, pour lui demander de participer au paiement de la somme en question, ce que bien sûr ce dernier refuserait très probablement dans la mesure où il prétendrait ne l’avoir aidé que pour lui rendre service. Ainsi peut-être, espérais-je qu’ils en viendraient à se fâcher, et que mon voisin, pour ne pas être le seul à devoir payer les dommages-intérêts et risquer en outre la prison à la place de son ami, ne finisse par le balancer après y avoir bien réfléchi. Et voilà où j’en étais deux ans et quelques mois après les faits : à attendre en espérant qu’à la police de classe ne s’ajoute pas aussi une justice de classe … encore que les puristes pourraient m’objecter que la police étant judiciaire fait déjà partie de ce tout qu’est la Justice. Mais alors pourquoi le ministère de tutelle de la Police n’est pas celui de la Justice mais celui de l’Intérieur, et que celui de la gendarmerie, soit dit en passant, est, ou était autrefois, il me semble, le ministère de la Défense ? Mais tout cela est déjà une autre histoire.
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