Tu iras plus vite en allant lentement !

Ça l’avait bien fait rire, Hector, quand la mère de son voisin avait dit à son fils, qui se dépêchait, qu’il irait plus vite en allant plus lentement. Comment diable pouvait-on donc imaginer qu’on puisse aller plus vite en allant plus lentement, pensa-t-il, lui qui était un adepte de la vitesse.

Il allait le comprendre dix ans plus tard quand, se trouvant momentanément au chômage, il devait se rendre à un entretien d’embauche qu’il ne voulait surtout pas rater, l’emploi qu’il convoitait alors correspondant parfaitement à ses attentes.

Pour ne pas être en retard, il partit largement en avance, et une fois sur la route eut même tendance à trop appuyer sur l’accélérateur, histoire d’être sûr de bien être à l’heure à son rendez-vous, quitte à devoir attendre au besoin si nécessaire. Mais la voiture qu’il avait à l’époque, n’était plus de première jeunesse, et à force d’avoir trop appuyé sur l’accélérateur, elle finit par lui montrer son mécontentement en tombant en panne.

« Oh, non pas aujourd’hui », se dit-il d’un ton agacé.

Heureusement, il s’y connaissait pas mal en mécanique et ne se déplaçait jamais sans sa caisse à outils. Il se résolut donc, après s’être arrêté sur le bas côté, à ouvrir le capot de sa voiture et à ausculter le moteur pour essayer de découvrir l’origine de la panne. Il ne mit pas longtemps à la trouver et se mit aussitôt à faire ce qu’il fallait pour pouvoir la réparer. Ce n’était pas très compliqué, mais ça lui prendrait bien une bonne heure, même en se dépêchant. Il fit donc aussi vite qu’il pouvait, mais ce faisant il oublia de remettre en place une vis essentielle à la bonne marche du véhicule. Et le problème, c’est qu’il ne s’en était rendu compte seulement qu’une fois la réparation effectuée, quand il vérifiait si tout était en ordre. Il explosa de rage, car à présent il devait à nouveau tout re-démonter, et ensuite tout remonter pour pouvoir repartir, alors que s’il avait pris le temps de bien vérifier que tout était bien en place avant de remonter la première fois les pièces du moteur qu’il avait retiré, il serait déjà en chemin pour aller à l’entretien au terme duquel il espérait être recruté, de même qu’il serait déjà sans doute arrivé à l’adresse où cet entretien devait se dérouler, s’il n’avait pas eu la mauvaise idée de vouloir rouler trop vite, en tout cas plus vite que ce que sa voiture était en état de supporter. Il était vraiment en colère contre lui-même, ce qui ne le mettait pas psychologiquement dans les meilleures dispositions pour pouvoir réussir son entretien. En outre, pour réparer sa voiture, il avait dû mettre les mains dans le cambouis, et bien qu’il les ait nettoyé aussi bien qu’il pouvait à l’aide d’une lingette que par chance il avait toujours dans sa voiture, elles restaient quand même pas très propres, sans compter qu’il avait aussi fait quelques petites taches sur ses vêtements qu’il avait pourtant sélectionnés avec soin pour pouvoir faire bonne impression lors de son entretien, et voilà que patatras, ses plus beaux atours allaient au contraire le desservir. Car en effet, il n’a jamais su si c’était pour cette raison, mais il échoua à son entretien d’embauche, et en garda une profonde amertume.

Et à présent, à chaque fois qu’il lui arrive d’y repenser, il médite amèrement ce que la mère de son voisin avait dit à son fils, dix ans plus tôt. Il se rappelait que ça l’avait beaucoup amusé, au point même de beaucoup le faire rire, alors qu’aujourd’hui s’il devait encore en rire, ce serait plutôt en jaune, mais non pas du jaune que le vainqueur du Tour de France à bicyclette par exemple est heureux de pouvoir arborer en signe de victoire, hélas plutôt du jaune de la défaite, de la déception ou de la rancœur.

S’il l’avait su, assurément il serait allé plus lentement, serait à coup sûr arrivé à l’heure et aurait peut-être décroché le poste qu’il convoitait tant.

Au moins, cela lui aura-t-il servi de leçon, songea-t-il avec néanmoins une certaine aigreur.